Le Serpent de feu
premiers cette perle rare.
Après avoir commandé nos chopes, nous rejoignîmes le pigiste.
— Alors, Pupper, toujours pas en âge de boire autre chose que du lait ? fit James en se projetant sur la banquette.
— J’ai eu mes vingt et un ans, Mr Trelawney ! C’est parce que j’ai du travail, un papier pour l’édition de jeudi dont il faut que je commence à rédiger le texte. À propos d’une affaire d’opium qu’on dit frelaté dans les fumeries de Pennyfields. Plusieurs clients seraient morts d’en avoir consommé.
— Bonjour, Pupper, saluai-je à mon tour. Vous avez les articles dont vous m’avez parlé hier ?
— Bien sûr, Mr Singleton.
Il fouilla dans la poche de son veston et en sortit plusieurs feuilles, surchargées d’une écriture d’écolier.
— Les voici. Je les ai recopiés avec soin. Normalement, vous ne devriez avoir aucun mal à me relire. Le premier date d’octobre 1900 et provient d’un journal du Yorkshire, le Bradford Observer . Comme vous le savez, l’Aube dorée avait ouvert une loge dans cette ville, le temple Horus, en 1888. L’auteur semblait relativement au fait de l’organisation de l’ordre, car l’article contient une liste des différents grades et évoque quelques-unes des cérémonies pratiquées…
Le jeune pigiste s’interrompit soudain pour humer l’atmosphère autour de lui, comme un chien d’arrêt le museau au vent. Non satisfait, il se souleva pour jeter un regard dans le box derrière lui, puis baissa la tête sous notre table.
— Vous ne sentez pas une odeur bizarre ? Comme un lointain relent de cloaque ? s’inquiéta-t-il alors que ses soupçons hésitaient à se porter à l’endroit de mon camarade.
La figure de celui-ci se brouilla un instant. Puis, après avoir avalé une généreuse lampée, il répliqua du ton le plus sérieux :
— La Fleet, une ancienne rivière, coule sous nos pieds. À présent, c’est un égout couvert, qui se jette dans la Tamise près du pont de Blackfriars. Mais les jours de pluie, il y a comme des remontées fétides.
— Ah bon ? se contenta de réagir le garçon, à moitié convaincu.
— Et le second article ?
— Il est paru en janvier 1903, je l’ai trouvé dans la salle des archives du London Gazette , où travaille l’une de mes connaissances. Il y est largement question du schisme de la confrérie et du déménagement du siège de l’ordre, quelques semaines plus tôt, du 24/25, Clipstone Street, non loin de Regent’s Park, au 36, Blythe Road, à Hammersmith.
— Je vous remercie de votre aide, mon cher Pupper. Sans vous, cette recherche aurait été par trop fastidieuse. Et pour ce que je vous ai demandé au téléphone concernant les incidents survenus dans les morgues ou établissements de pompes funèbres ?
— J’ai mené ma petite enquête, hier soir et ce matin, et, croyez-moi, je n’ai pas mégoté mes efforts. Mais il semble que ce soit le calme plat. Remarquez, ça n’a rien d’étonnant !
Désappointé, je malaxai le lobe de mon oreille gauche entre le pouce et l’index.
— Par contre, ça m’a fait me souvenir d’une histoire entendue dans un estaminet, près de la gare de Paddington, le week-end dernier.
— De quoi s’agissait-il ?
— Le type qui me l’a racontée travaille comme gardien de nuit au cimetière de Kensal Green. Le samedi 1 er mai, lors de sa dernière ronde au lever du jour, il a remarqué qu’on avait tenté de déplacer la dalle en pierre d’une des tombes de son secteur, au centre de la nécropole. Bien qu’il tombât des cordes depuis l’aube et que la boue avait effacé les traces, il suppose que la crapule n’a pas eu le temps de terminer le travail. L’une des tournées d’inspection durant la nuit avait dû le faire déguerpir.
— Et évidemment, le témoin n’en a informé personne.
— Lui et son collègue ont été recrutés l’an dernier pour effectuer des patrouilles nocturnes parce qu’on avait déploré deux cas de profanations quelques mois auparavant. Comme il n’y avait aucune inscription blasphématoire sur la sépulture, il n’a pas jugé opportun de signaler l’incident, et il s’est contenté de remettre la plaque correctement.
— Le gardien avait-il noté une activité anormale cette nuit-là durant ses autres rondes ?
— Entre nous, s’il lève le coude pendant son service aussi prestement qu’il a englouti les trois pintes de stout que je lui ai payées au
Weitere Kostenlose Bücher