Le Serpent de feu
définitif, avaient-ils violé une loi sacrée et ouvert sans le savoir une nouvelle boîte de Pandore ?
En me défaisant de mon manteau un peu plus tôt, j’avais déposé sur la table basse la photo de Bolton rapportée de notre expédition nocturne. James s’en saisit et l’agita devant les yeux de la momie.
— Pourquoi vous a-t-on retrouvé ce soir dans un autre cerceuil que le vôtre, au cimetière de Kensal Green ? Vous ne vous plaisiez plus dans la paisible crypte des frères Patterson ? Et où est passé le corps de Marcus Bolton ? Ouvrez la bouche et dites la vérité, Mr Flaxman ! Votre silence risque de vous coûter cher lors du Jugement dernier !
De guerre lasse, James reposa la photo sur la table et se leva en bâillant.
— Un drôle de client, ton loustic ! Pour ma part, j’en ai assez fait pour aujourd’hui. Je m’en vais dormir un peu. Si je puis me permettre, tu devrais en faire autant.
En réalité, malgré la fatigue, je n’étais pas décidé à goûter au repos immédiatement. Je comptais bien tenter d’instaurer dès ce soir une forme de communication avec l’au-delà. De quelle manière ? Je n’aurais su le dire. Peut-être était-il possible de provoquer par moi-même une de ces visions. En restant toute la nuit près du corps, par exemple, malgré l’entremêlement de fascination et de dégoût que la situation m’inspirait. Le poète Yeats prétendait avoir appris au sein de l’Aube dorée à engendrer de telles images à l’aide de symboles peints sur des cartes. La présence du cadavre embaumé pouvait produire sur moi un effet comparable. Même si j’ignorais comment les membres de l’ordre opéraient de manière précise, l’espoir était quand même permis, à condition que je concentre toutes mes énergies psychiques sur la réalisation de cet objectif.
Dès que James eut disparu dans sa chambre, je me levai à mon tour et allai quérir dans la salle de bains une serviette en éponge et un récipient rempli d’eau légèrement savonneuse. Puis, ayant retiré non sans mal le paletot malpropre du cadavre, je m’employai à lui nettoyer le visage, le cou et les mains. Sans être capable d’en formuler tout à fait la raison, je sentais qu’il était de mon devoir de rendre d’abord à la dépouille une apparence présentable.
Comme je l’avais déjà noté dans la crypte des Patterson, celle-ci ne dégageait aucune émanation putride ; bien au contraire, un agréable parfum se faisait sentir, qui n’avait rien à voir avec l’odeur du savon utilisé ni avec celui d’un quelconque agent chimique de conservation. En outre, au toucher, il était étonnant d’éprouver la relative tiédeur du corps.
Une fois éliminée la crasse terreuse qui s’était incrustée sous les ongles et entre les plis des doigts, je remarquai que plusieurs taches d’un brun plus ou moins clair continuaient d’adhérer à la peau, sans que je parvienne à les effacer en frottant avec le bout de tissu. À l’aide d’une lame de couteau, j’en grattai quelques fragments et les recueillis sur une feuille de papier ministre, mais le manque de lumière et le fait que l’épuisement physique commençait à me rendre la vue trouble me contraignirent à repousser le moment de leur examen, et je rangeai le tout dans le tiroir de mon bureau.
Je restai ensuite éveillé jusqu’à l’aube, assis sur le divan, à continuer de fixer la momie, attendant un signe qui ne vint jamais. À la fin, sentant que je ne pourrais résister plus longtemps à l’assoupissement, je me laissai envahir par le sommeil, dans l’espoir que la communication pourrait s’établir par le biais des rêves. Mais quand j’ouvris les yeux, en ce lundi 10 mai, alors que le soleil était déjà haut dans le ciel au-dessus de Russell Square et que la nature semblait avoir retrouvé quelque accent printanier, je constatai avec désenchantement qu’aucun songe ne m’avait habité, pas la moindre vision ni même évocation au contenu chargé de sens n’avait surgi dans mon cerveau.
À cet instant, la porte de l’appartement s’ouvrit. James fit irruption dans le salon, vêtu de son blouson d’aviateur et de sa casquette.
— J’étais certain que je te trouverais encore avachi sur ce canapé. Vas-tu enfin te lever ? Sapristi, tu es d’une pâleur ! Même Flaxman a le teint plus frais que toi.
Près de moi, sur le fauteuil, j’avisai la momie qui n’avait pas bougé d’un
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