Le Serpent de feu
les colonnes et le fronton de pierres blanches de la chapelle anglicane.
L’homme s’arrêtait régulièrement et promenait sa lanterne au-dessus des alignements de tombes qui bordaient chaque côté du chemin. Parvenu à notre hauteur, le faisceau lumineux éclaira la statue d’un angelot en prière, à quelques pas de moi, et glissa vers l’obélisque derrière lequel je me tenais, les sens en alerte.
De crainte d’être repéré, je m’aplatis contre la terre humide. À cet instant, je sentis glisser contre ma cheville une boule de chairs, qui couina atrocement lorsque, par répulsion, je tentai de la repousser avec mon soulier. La sensation était si désagréable qu’instinctivement je me redressai sur la pointe des pieds. Par malheur, dans la manœuvre, je cognai la tête contre une des urnes en argile qui reposaient en équilibre précaire aux quatre coins de la base de l’obélisque, et celle-ci chût en se fracassant sur le sol.
Je retins mon souffle. L’homme avait forcément entendu. Aussitôt, les pas se rapprochèrent de l’endroit où j’étais posté, et il s’en serait fallu de peu que la lumière de la lanterne ne révélât ma présence si, me laissant tomber de nouveau sur le sol, je n’avais pas rampé en direction d’un autre monument, en forme de gigantesque vasque, au pied duquel je me couchai en retenant mon souffle.
À quinze pas de moi, non loin de l’endroit où je me tenais quelques instants auparavant, le faisceau de la lanterne éclaira un énorme mulot qui détala entre les jambes du gardien.
— Saleté de bestiole ! gronda l’individu en tentant de suivre des yeux la course de l’animal. On va t’envoyer la facture pour tous les vases que toi et tes copains avez bousillés !
L’homme recula et reprit sa ronde, tournant le dos à la chapelle.
Malgré la fraîcheur de l’air, mon visage perlait de sueur. Après m’être assuré que l’individu ne faisait pas demi-tour, je me soulevai péniblement sur un coude, puis je migrai à quatre pattes vers un petit carré de terre de manière à recouvrer mes esprits.
L’émotion m’avait anéanti. Il me tardait à présent de fuir cet endroit sinistre.
— Eh bien ! On peut dire que nous l’avons échappé belle ! ricana James en me rejoignant à pas de loup. Encore une chance que je portais les outils. Tu aurais été capable de sonner le tocsin en te prenant les pieds dedans.
— Je crois que c’est peine perdue, Jim. Mieux vaut revenir en plein jour pour localiser la tombe de Bolton.
— Pas si sûr qu’il faille remettre ça. Regarde !
S’étant assuré que le gardien avait disparu tout au bout de l’allée, James appuya sur le commutateur de la lampe torche.
Je jetai un œil sur l’endroit qu’éclairait le faisceau, l’un des deux tombeaux près desquels j’étais assis, d’un style sans fioritures, constitué d’une grande dalle noire et d’une stèle où était inscrite en lettres d’argent, au-dessus d’un petit portrait ovale serti dans la pierre, la mention suivante :
M ARCUS B OLTON
1909-1936.
Au milieu d’une gerbe de fleurs séchées, un cadre en métal abritait une seconde photographie du défunt, représentant le même jeune homme joyeux, les cheveux courts et gominés.
Nous entreprîmes l’inspection de la sépulture et de ses abords en dirigeant la lumière vers le sol pour ne pas risquer de nous faire repérer. Quelques entailles sur le bord de la dalle indiquaient sans équivoque qu’on avait cherché à la déplacer à l’aide d’outils contondants.
Aussitôt, James me tendit la torche et cracha dans la paume de ses mains pour se donner du cœur à l’ouvrage. Puis, après s’être saisi de la pioche de terrassier, il enficha la pointe la plus large sous la pierre et appuya sur le manche de toutes ses forces. À la fin, l’énorme pavé se soulevant de plusieurs centimètres, il réussit à le mouvoir suffisamment pour découvrir le rectangle de terre où le corps avait été inhumé.
Nous ne savions au juste ce que nous cherchions. Mais, sans nous accorder sur ce qu’il convenait de faire, et malgré le caractère sacrilège de l’entreprise, nous avions déjà agrippé chacun une pelle et commençâmes à creuser avec ardeur.
Le travail fut long et fastidieux. Nous avions ôté nos pelisses et retroussé les manches de nos pull-overs. De temps à autre, nous nous arrêtions pour tendre une oreille et vérifier que le gardien ne traînait pas à
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