Le Serpent de feu
fauteuil Chesterfield, quelques feuillets couverts de gribouillis obtenus par écriture automatique étaient affichés et, sur le bureau, devant un sous-main défraîchi, on avait disposé l’un de ces moulages élaborés à partir d’une prétendue main spectrale, dont il m’avait été donné de voir un spécimen analogue à l’Institut métapsychique, à Paris 3 .
Le fichier qui nous intéressait se trouvait dans un énorme meuble de rangement en bois de palissandre que Dryden nous désigna du menton. Si le membre distingué de la SPR mettait autant de lui-même dans le classement des dossiers contenus dans ces tiroirs que dans celui du reste de la pièce, la partie était loin d’être gagnée.
S’étant approché du coffre, Dryden sembla hésiter, finit par ouvrir l’un des casiers du bas et, un genou au sol, fureta à l’intérieur. Sur chacune des chemises en carton qui se trouvaient empilées, une étiquette portait une liste de noms inscrits à la plume.
— Rathmore, Ravensbourne, Raymouth… Non, ce n’est pas celle-ci.
Replaçant le dossier, il en saisit un autre.
— Russell, Rutland, Rycroft… Ce n’est pas ça non plus !
Pendant qu’il poursuivait activement son exploration, je profitai de l’occasion qui m’était offerte pour l’interroger incidemment sur la question de l’Aube dorée. Au moment de l’affaire du « Fantôme de Baker Street », il semblait que Dryden connaissait Kirkby de longue date. En conséquence, il était peut-être susceptible de satisfaire ma curiosité concernant ce dernier et son ancienne confrérie.
— Sans vouloir vous perturber dans votre recherche, Dr Dryden, il y a une autre chose que j’aimerais savoir. Autrefois, vous sembliez avoir la plus grande estime pour Ashley Kirkby. Comment l’avez-vous connu ?
— Ce diable de Kirkby ? Je l’ai rencontré il y a une quinzaine d’années, par l’intermédiaire d’un membre de notre société qui avait fréquenté un temps les milieux hermétistes de la capitale. (Sabberton, Sackville… Il semble que nous approchons.) Ashley Kirkby est un homme intelligent, d’une grande connaissance touchant aux réalités cachées de notre monde, et il m’est arrivé d’avoir avec lui des discussions animées. (St Charles, St Giles, Salehurst…) Malheureusement, lui et les occultistes qu’il fréquente sont loin d’appliquer dans leurs travaux un esprit logique et scientifique comme nous nous targuons de le faire à la SPR. Ce qui fait que leurs théories ne sont la plupart du temps que d’indigestes brouets spéculatifs.
— Il a appartenu à la fin du siècle dernier à une confrérie portant le nom d’« Ordre hermétique de l’Aube dorée ». C’est elle qui a cherché à enrôler Arthur Conan Doyle en 1898.
— Un cénacle d’intellectuels et d’artistes aux théories fumeuses. (Sayers, Scarlett, Scholey, Scott…) Connaissant sir Arthur, il m’étonne qu’il ne se soit pas laissé embrigader.
— Mais qu’y faisait-on au juste ? À quel type d’activités s’y prêtait-on ? Le savez-vous ?
— C’est à Kirkby que vous devriez le demander. À l’époque, je venais de débarquer de ma verte campagne, et mon esprit était surtout accaparé par mes cours au Barts 4 . (Seymour, Slade, Sloane…) Mais tout ce que je puis affirmer, c’est qu’on ne dédaignait pas y faire usage de substances hallucinogènes très puissantes.
— Comment cela ?
— Peu avant la guerre, à l’époque où j’exerçais au St Thomas’ Hospital, j’ai été amené à m’occuper de deux patients tombés dans la schizophrénie après s’être livrés à de véritables débauches visionnaires à l’aide de ce qu’ils appelaient une « drogue astrale ». Ils m’ont confié appartenir à l’un de ces ordres hermétiques nés des cendres de l’Aube dorée et dont ces nouvelles sociétés avaient hérité la plupart des rites initiatiques et d’autres usages peu conventionnels.
Il me revenait en mémoire ce passage du chapitre XV du livre de souvenirs d’Arthur Conan Doyle où celui-ci rapportait son étrange rencontre avec le Dr Kirkby et un de ses compagnons 5 . Pour convaincre l’écrivain de s’affilier à leur société secrète, les deux visiteurs s’étaient vantés devant lui d’accomplir de nombreux prodiges, en particulier des voyages astraux.
Ainsi donc, je ne m’étais pas trompé en estimant que l’un des buts suprêmes de la confrérie était de donner
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