Le Serpent de feu
à voir ce qui réside au-delà de notre niveau ordinaire de perception.
— Smedley, Somerset, Southcombe, Sparrow… Eh bien, voilà ! Je crois que nous y sommes.
Dryden empoigna la chemise et, se relevant avec agilité, la déposa sur le plateau du coffre, après avoir débarrassé celui-ci d’un revers de manche des piles qui l’encombraient.
Pendant quelques secondes, il parcourut rapidement le contenu du dossier, puis en détacha un feuillet dactylographié qu’il plaça sur le dessus.
— Le court mémento que voici semble concerner effectivement votre Mr Sparrow. Il a été rédigé par notre délégué de la SPR pour les Midlands de l’Ouest, James Herbert Grainger, et m’a été adressé le 3 décembre 1933.
— Que dit-il au juste ?
— Lester Nicholas Sparrow, né le 26 février 1900, synthétisa Dryden. A commencé à faire partie d’un cercle spiritualiste en 1924, dans sa ville natale de Coventry, puis ensuite à Birmingham où il est parti occuper un poste de comptable en 1926. Peu après cette date, il a pris conscience de ses talents de médium, dont il a fini par faire son gagne-pain sous l’impulsion de son frère, Roger, ce dernier organisant des séances payantes à travers toute la région. En 1932, en même temps que son départ de province, Lester Sparrow paraît avoir cessé son activité spirite. Le rédacteur de ce rapport rapporte que la décision serait consécutive à une séance qui aurait failli mal tourner du côté de Kenilworth. Il est vrai que, selon Mr Grainger, le don de cette personne revêtait une nature et une intensité peu ordinaires.
— Que voulait-il dire par là ? questionna James.
— Il était ce qu’on a coutume d’appeler un médium « à incarnation ».
— Mais encore ?
— Eh bien, selon la classification traditionnellement établie, il existe trois grands types de médiums : les uns sont dits « à effets physiques », ce qui signifie que des phénomènes tels que coups frappés et déplacements d’objets se produisent autour d’eux ; d’autres sont dits « à matérialisation », c’est-à-dire que des formes visibles et tangibles se condensent en leur présence grâce à cette substance diaphane que sécrète leur organisme et que nous autres spiritualistes désignons sous le terme d’« ectoplasme » ; enfin, il y a les médiums « à incarnation ». Ceux-là, quand ils sont plongés dans un état de transe profonde, sont capables d’offrir pour un temps l’hospitalité de leur corps à des êtres qui s’incarnent en eux.
— Vous voulez parler, je suppose, de l’esprit d’un mort qui utiliserait l’appareil vocal de la personne pour s’exprimer à une assemblée de vivants ? interrogea mon acolyte.
— C’est ce à quoi se borne en effet la plupart des médiums à incarnation. Mais, comme l’indique dans sa conclusion notre délégué de la SPR, il semblerait que les dispositions de Mr Sparrow lui aient permis de faire bien davantage. Dommage qu’il ait interrompu son activité avant que nous ayons pu l’étudier plus avant.
— Autrement dit, avançai-je, il aurait eu la capacité de laisser un esprit prendre intégralement possession de son enveloppe physique, actionner ses organes et les gouverner à sa libre fantaisie. Une sorte de « prête-corps », en somme.
— On peut le dire comme ça.
— Grâce à quoi, continuai-je, l’incarné retrouve le savoir-faire qui était le sien autrefois. Ainsi, un grand poète serait dans la capacité d’écrire un sonnet inédit avec le même génie et la même écriture autographe que de son vivant… ou un artiste peintre d’exécuter une toile à même de confondre les meilleurs spécialistes de son œuvre.
— C’est de l’ordre de l’envisageable.
J’exultai. Cette fois, ma théorie se trouvait définitivement étayée, et de la meilleure des façons !
Dryden jeta un coup d’œil à sa montre avant de me remettre affolé le feuillet entre les mains.
— Tudieu ! Il est dix heures trente passées. Je devrais déjà être en chemin. Mes amis, je vous laisse consulter cette note le temps nécessaire. Pour le reste, Albert est à votre disposition. Vous êtes ici chez vous. Mais surtout, n’oubliez pas de repasser me voir un de ces quatre, afin que nous puissions discuter plus amplement de la marche de nos affaires !
— Nous n’y manquerons pas.
Je consultai hâtivement la feuille qu’il venait de me remettre. Il
Weitere Kostenlose Bücher