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Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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leur anonymat. Le
Kit-Kat était un cabaret réputé ; ce soir-là, une troupe de danseurs
hongrois était à l'affiche, les Folies de Budapest.
    L'homme le plus jeune commanda un jus
d'orange, sa boisson favorite, l'autre un whisky à l'eau, puis ils se
délectèrent du spectacle des gaietés danubiennes, jupons courts et jambes
levées. Au bout d'un moment, le cadet demanda à son voisin dans un français
exquis nuancé d'un léger accent italien :
    – Dis-moi, que penses-tu de la
troisième à partir de la gauche ?
    – La rousse, sire ?
    – Parfaitement.
    – Elle n'est pas inintéressante.
    Le jeune homme hocha la tête. Son interlocuteur savait ce qu'il avait à
faire. Antonio Pulli, c'était son nom, émigré italien de la seconde génération,
connaissait le roi depuis presque toujours, son père ayant été responsable de
la maintenance du circuit électrique du palais. Antonio l'avait secondé dans sa
tâche, et c'est tout naturellement qu'il avait été amené à réparer les jouets
du futur roi d'Égypte. On peut dire que de cet instant naquit l'amitié entre
l'adolescent et l'enfant. Pulli était devenu son ombre, son alter ego, le frère
que Farouk n'avait jamais eu.
    Peu après la fin du spectacle, le duo quitta le Kit-Kat avec une
discrétion exemplaire. Il n'était pas seul. Une femme rousse les accompagnait.
Un sourire épanouissait son visage. Demain, elle serait riche d'une centaine de
livres et de quelques souvenirs royaux.
     
    Le réveil fut autrement moins agréable pour le monarque de dix-neuf
ans.
    Il dormait depuis deux heures d'un sommeil repu quand le grand
chambellan en personne, Hassaneïn Pacha, prit la lourde responsabilité de le
réveiller.
    – Sire !
    Pas de réaction.
    – Sire !
    Le visage juvénile, empâté de sommeil, frémit.
    – Sire !
    Farouk ouvrit un œil et vit un visage différent de celui qu'il avait
quitté avant de se coucher. Une face maigre, brune, burinée et sommée d'un
tarbouch. Cravate de soie grise sur un col cassé. Stamboulié grise. On était
bien loin de la beauté danubienne qui, quelques heures plus tôt, partageait la
couche royale.
    – Qu'y a-t-il ?
    Il consulta sa montre-bracelet en or.
    – Il est à peine 7 heures !
    – Sire pardonnez-moi de vous
réveiller, mais le roi Ghazi est mort hier loir et j'ai jugé bon de vous en
informer dès que possible.
    Farouk cligna des yeux et l'assit.
    – De quoi est-il mort ?
    – On parle d'un accident de voiture.
Mais notre ambassadeur, que je viens d'avoir au téléphone, me rapporte que ce
serait les Anglais qui auraient manigancé l'accident avec la complicité de leur
âme damnée, Nouri el-Saïd.
    – Sait-on par qui ils vont le
remplacer ?
    – Par son fils, Majesté. Fayçal II.
    – Fayçal ? Il a quatre ans à
peine ! J'imagine qu'ils vont lui accoler un régent ?
    – D'après les informations que nous
possédons, celui-ci aurait déjà été nommé. Il s'agit de son oncle, le prince
Abdallah. Le frère de feu le roi Ghazi.
    Sur un coup de sonnette, le valet apporta la robe de chambre et un plateau chargé d'une théière
et d'une tasse.
    – C'est fâcheux. Voilà qui risque
d'entraîner des réactions ici. Il serait prudent de soutenir pour le moment la
thèse de l'accident.
    Le conseil était vain. Très vite,
l'homme de la rue refusa de croire à cette mort « accidentelle ».
Ghazi n'avait-il pas passé son temps à dénoncer la politique anglaise au
Moyen-Orient ? N'était-il pas honni par ces messieurs de Londres ? Le
nom de Nouri el-Saïd, le suppôt de l'occupant, fut bientôt sur toutes les lèvres. Il parut évident qu'il avait été le bras armé des
services secrets britanniques. Dans les jours qui
suivirent, des émeutes éclatèrent dans les grandes villes. Le consul
d'Angleterre à Mossoul fut écharpé, des sociétés et des édifices propriété des
Britanniques furent saccagés et incendiés.
     
    Quatre mois plus tard, le 23 août
1939, retentit le premier coup de tonnerre d'une longue série. Prenant le monde
de court, Allemands et Soviétiques scellèrent un pacte de non-agression, signe
avant-coureur d'une alliance en prévision d une guerre.
    Vu du
Caire, cela n'augurait rien de bon, mais cela ne changerait pas grand-chose à
la situation. Vu de Damas, c'était en revanche excitant, puisque de toute
évidence l'Europe s'acheminait vers un conflit où la France serait
immanquablement entraînée. Embarquée dans un tel drame pourrait-elle conserver
sa

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