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Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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qu'accueillir un seul passager reviendrait à en
accueillir un de trop. Toutes les nations d'Amérique latine avaient agi de
même. À Berlin, au dire de certains témoins, Goebbels se serait écrié :
« Vous voyez ? Personne n'en veut ! »
    En
désespoir de cause, le capitaine avait tenté de faire échouer son navire sur
les côtes de Floride, mais les gardes-côtes américains s'y étaient opposés,
menaçant de tirer.
    Finalement,
devant l'impossibilité d'accéder à un havre, Gustav Schröder avait été
contraint de rebrousser chemin. Heureusement, grâce au dévouement d'un homme
providentiel – Morris Troper – et après des journées de tractations, les
« indésirables » furent autorisés à débarquer en Hollande, en
Belgique, en Angleterre et en France.
    La
question qui se pose aujourd'hui, concluait l'article, est la suivante :
« Si, demain, ces terres d'accueil devaient être envahies par les forces
nazies, qu'adviendrait-il de ces rescapés ? »
    Josef
referma le journal.
    Était-ce
crédible ? L'Amérique de M. Roosevelt ? Cette grande
démocratie ? Et le Canada ? Et tous les pays d'Amérique latine ?
    Un frisson
lui parcourut le dos.
    Il resta
immobile, ses idées se chevauchant dans une cavalcade ininterrompue, jusqu'au
moment où la voix d'Irina, sa fille, le rappela à la réalité.
    – Alors,
père ? Tu rêvasses ?
    Elle était
sur le seuil de la bibliothèque, tenant son fils, Avram, neuf ans, par la main
et ajouta :
    – Le dîner
est servi !
    – Oui,
oui, j'arrive. Il retira ses lunettes.
    –
Alors ?
    –
J'arrive, maideleh .
    Le ton de
sa voix dut alerter Irina, car, au lieu de repartir, elle traversa la salle et
s'approcha de son père.
    – Tu ne te sens pas bien ?
    – Si, si.
    Il ébouriffa affectueusement les
cheveux de son petit-fils et le fixa avec une curieuse lueur dans le regard.
    – Papa, insista Irina. Veux-tu bien
me dire ce qui ne va pas ?
    Il baissa les yeux.
    – Je ne pensais pas qu'arrivé à mon âge
j'aurais pu remettre mes convictions en question. Pourtant...
    – Je ne saisis pas ?
    – Il y a plus de deux mille ans, pour
prendre possession de cette terre, nos ancêtres ont dû livrer une longue série
de batailles et d'affrontements. Ils ont supplanté les Cananéens, écarté les
Amalécites [97] , écrasé les Madianites [98] , les Philistins, et j'en oublie. Du
sang, toujours du sang. En arrivant ici, j’étais convaincu que répéter
l'Histoire en cherchant à créer un État au détriment de ceux qui vivent
aujourd'hui dans ce pays serait non seulement une hérésie, mais une grande
injustice. La Déclaration Balfour m'a toujours profondément révolté : que
vaut l'engagement de celui qui donne ce qu'il ne possède pas ?
    Il se replia un instant dans le
silence, avant de poursuivre :
    – Aujourd'hui, à soixante-dix ans,
lorsque je prends conscience du sort auquel les hommes ont voué notre
communauté, le mépris que nous avons toujours inspiré et que nous inspirons
encore, je me demande si je ne suis pas un utopiste, ou, pire encore, si – avec mes états d'âme – je ne me fais pas le complice de nos
assassins.
    Il posa un œil interrogateur sur
Irina.
    – Tu ne dis rien ?
    – Qu'attends-tu ?
    Il éluda la question et
poursuivit :
    – Avant-hier, j'ai eu une longue discussion avec notre ami Ben Gourion, nous évoquions l'avenir. Je lui faisais part de mes réticences. Et sais-tu ce qu'il m'a dit ? « Marcus !
Tu parles comme un mouton. Nous avons trop longtemps été des moutons, et l’on
nous a menés à l 'abattoir. Aujourd'hui,
je préfère vivre un
jour comme un lion que cent comme un mouton, ». Et il a ajouté, la voix
tremblante : « Si je savais qu'il était possible de sauver tous les
enfants d'Allemagne en les transférant en Angleterre, mais n'en sauver que la
moitié en les amenant sur la terre d'Israël, j'opterais pour la seconde solution
parce qu'il ne s'agit pas uniquement du nombre d'enfants à sauver, mais de notre responsabilité historique à
l'égard du peuple juif tout entier. »
    Irina posa instinctivement sa main sur l'épaule de son
fils.
    – Je trouve le propos terrifiant, bredouilla-t-elle d'une
voix sourde. Mais je comprends ce qu'il a voulu dire, et je l'approuve.
    Elle marqua une pause avant de s'enquérir :
    – Et toi ?
    Josef Marcus murmura :
    – Je commence à comprendre...
     
    *
     
    Le
Caire, septembre 1940
     
     
    La plupart des Égyptiens avaient longtemps cru

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