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Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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régent,
n’est pas un mauvais garçon : il n'existe tout simplement pas. Imagine un
grand dadais de vingt-six ans, élevé dans le luxe et l'illusion qu'il
appartient à une famille régnante. Il commande ses costumes et ses chaussures
chez les meilleurs faiseurs de Londres et, quand tu le vois marcher, tu as
compris la moitié de son personnage : il aime les hommes. C'est pourquoi
Nouri el-Saïd l’a choisi : il exerce sur lui
un pouvoir écrasant. Abdallah se prend pour un défen deur du monde arabe, mais je serais
surpris qu'il puisse tirer un pigeon d'argile
à trois mètres. À condition qu'on évacue tout le monde autour de lui à un kilomètre.
     
    Dounia se délectait.
    — Je ne me souvenais plus que mon
frère avait autant d'humour. Jean-François
continua :
     
    Je voudrais pouvoir
porter un jugement aussi tranché sur le Premier ministre, Nouri el-Saïd, mais
je ne peux, car je suis trop partagé. L'homme est d'une redoutable intelligence
et d'une capacité d'intrigue sans pareille. Je me demande s'il est stratège
autant que tacticien. Et puis il lèche
trop la main de ses maîtres anglais.
    Le problème, mon cher
ami, est que, depuis que nous avons été libérés des Ottomans, nos chefs
jouissent d'une facilité de vie qui me semble périlleuse. Fayçal se déplaçait à
cheval, ce qui exige un effort physique intense, même pour un bon cavalier. Il
n'avait pas besoin de micro pour se faire entendre de dix mille personnes et se
moquait éperdument de ce qu'il y aurait à manger le soir : un ragoût de
mouton ou de poulet avec du riz lui suffisait largement. Nos princes ont, eux,
des limousines de luxe, des cuisines de vingt personnes et passent un temps fou
à table. Je veux espérer qu'ils savent lire le Coran, mais je doute qu'ils en aient le
temps. Quand
ils ont fini de recevoir les courtisans et les quémandeurs, ils voient leurs
concubines ou leurs concubins et se lèvent quatre heures après le chant du coq.
    Des hommes tels que
Fayçal 0u son rival Ibn Séoud avaient l'habitude du désert, qui apprend à
regarder loin. Les politiciens d'aujourd'hui ne voient pas au-delà des murs de
leurs bureaux ou les maisons de la place d'où ils haranguent la foule.
    Nos chefs d'antan
jugeaient leurs compagnons d'armes sur leur capacité à manier un fusil ou un
sabre, leur endurance à cheval et leur
bon sens. Ce n'est plus le cas.
    Je crains, hélas,
qu'avec cette guerre qui va ravager le monde tous nos rêves d'indépendance, nos
utopies seront à ranger dans des malles. Peut-être
qu'un jour nos successeurs les ouvri ront
et prendront l a relève.
    Embrasse très fort ma tendre sœur et dis-lui
que je l’aime.
    Nidal
    – Qu'en penses-tu ? interrogea Jean-François.
    – Je pense qu'avec l’âge le pessimisme s'est installé dans le cœur de mon frère. Nidal aura bientôt soixante-dix ans. C’est un moment de la vie où les humeurs
sont assombries par le temps qu'il vous reste.

 
     
     
     
27
     
     
     
     
    Si je t'oublie jamais
Jérusalem, que ma main droite m'oublie, que ma langue s’attache à mon palais,
     
    Psaume 137 ; 5-6.
     
     
    Kibboutz de
Degania, 10 janvier 1940
     
     
    Josef Marcus replia le Palestine
Post et le posa, songeur, sur ses cuisses. Ensuite seulement, il ôta ses
lunettes, ayant bien du mal à se convaincre
de l'information qu'il venait de lire.
    Après quelques instants de réflexion, il relut l'article qui
s'intitulait : « Le voyage des damnés ». L'auteur faisait le
récit d'un navire, le S.S. Saint-Louis , qui avait
quitté Hambourg huit mois auparavant, le 13 mai 1939, avec, à son bord, 937
passagers, dont 550 femmes et enfants. Tous des Juifs allemands. Tous munis de visas pour La
Havane, où les exilés espéraient séjourner, en attendant que leur soit accordé
le droit d'entrée aux États-Unis.
    Le 23 mai, alors que le bateau était à la veille de pénétrer dans les eaux
territoriales cubaines, Gustav Schröder, capitaine du Saint-Louis , recevait un câble expédié par le gouvernement
cubain lui interdisant l'accès au port. Ordre lui fut aussitôt transmis par ses
supérieurs de ramener sa « cargaison » à Hambourg.
    Conscient du destin tragique qui attendait ses passagers en cas de retour à la case départ, le capitaine avait pris contact avec les
gouvernements du monde libre dans l'espoir que ceux-ci ouvriraient leur porte
aux réfugiés. Roosevelt, premier sollicité, avait refusé catégoriquement. Le
Canada aussi, expliquant

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