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Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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animal blessé. Peut-être
priait-il ? Non. Il se murmurait : « Pourquoi Adonaï ?
Pourquoi ? »
    À présent,
les bruits sourds des coups de bottes accompagnaient le son mat des matraques.
    Un filet
de sang coulait du front de Jakob. Et le sang rejoignit sur l'asphalte l'eau de
la pluie. Sous peu, l'eau et le sang mêlés glisseraient le long du caniveau
pour rejoindre celui des coreligionnaires de Jakob Felton en train d'endurer le
même sort, à la même heure, dans d'autres
quartiers de Berlin et d'autres villes du Reich.
    Dan Singer
chuchota à l'oreille de sa femme :
    —
Rappelle-toi cette date. N'oublie pas...
    Le 9
novembre 1938.
    Le
surlendemain, on apprit qu'une centaine d'hommes et de femmes avaient été
pareillement assassinés. Officiellement, on dénombra 171 maisons et 814
magasins détruits, 191 synagogues incendiées, 36 morts et autant de blessés,
20 000 Juifs emprisonnés « à titre préventif ».
    C'était la
Nuit de Cristal.
     
    *
     
    Le Caire, 3 mars 1939
     
    – Le temps passe. La vie passe, dit Gamal Abdel Nasser. Si
chaque mot était un grain de sable, nous serions ensevelis sous les discours
déversés depuis vingt ans sur la cause arabe et la Palestine.
    En
permission au Caire, lui et son compagnon d'armes, Zakaria Mohieddine, étaient
assis au Café Ma'aloum, à l'Ezbéquieh, parce que Gamal pensait que
l'établissement lui portait chance. Une chanson d'Abdel Wahhâb diffusée à la
radio couvrait leur conversation.
    Zakaria
hocha la tête.
    – Tu as raison, Gamal, les discours ont endormi le peuple et le peuple se sent isolé.
    – Évidemment ! Puisque nous n'avons pas d'armée pour le soutenir.
    Gamal et Zakaria sursautèrent comme s'ils avaient été surpris en
flagrant délit de vol à la tire. Ils levèrent les yeux vers celui qui venait de les aborder.
    – Ahmed ! s'exclama Zakaria en prenant l'homme dans ses bras. Quelle
surprise !
    Se retournant vers Gamal, il fit les présentations :
    – Voici Ahmed, Ahmed Zulficar.
    Soulignant avec fierté :
    – Le neveu du Brave !
    – Tu veux dire...
    – Oui ! Le neveu de Zaghloul.
    Gamal quitta sa chaise spontanément et donna à son tour l'accolade à Zulficar.
    – Tu portes la fierté de ton oncle sur ton front, s'exclama-t-il. Ne la
souille jamais !
    – N'aie crainte, plutôt mourir.
    Ahmed désigna celui qui l'accompagnait.
    – Taymour Loutfi. Mon ami, mais aussi mon beau-frère
    – Taymour Loutfi, interrogea Nasser. N'es-tu pas député du Wafd ?
    – Parfaitement.
    – J'ai entendu parler de tes interventions à la Chambre. Tu n'as pas
froid aux yeux. C'est bien.
    Il invita les deux hommes à s'asseoir.
    – Tu disais donc, reprit Nasser en fixant Zulficar :
« Évidemment ! Puisque nous n'avons pas d'armée... »
    – Ce n'est pas moi qui ai lancé cette affirmation, mais mon ami
Taymour.
    – En effet, confirma ce dernier. Avec trente mille hommes bien entraînés et quelques blindés, nous pourrions chasser les Anglais
d'Égypte. Le général Aziz el-Masry, qui vient d'être nommé chef de l'état-major
des forces égyptiennes, pourrait-je pense – former cette armée d'élite.
    Gamal secoua la tête.
    – Non,
je regrette de te contredire, mais les Anglais ne le laisseront pas faire. La
terreur de ce porc de Lampson est précisément que nous ayons
une armée. Même si le Sphinx se mettait à chanter, il ne céderait pas.
    Plongeant ses prunelles dans celles
de Taymour Loutfi, il enchaîna :
    – Parle-moi un peu de toi, mon ami.
     
     
    *
     
     
    Le Caire,
4 avril 1939
     
     
    Soixante et onze paires d'yeux
suivirent la reine Farida alors qu'elle traversait l'immense salle du palais
d'Abdine pour monter dans une des étincelantes Rolls-Royce rouge sang à
garde-boue noirs, couleurs exclusives du palais, partant vers le palais de
Koubbeh, où se tiendrait un grand banquet en l'honneur de la visite d'une
délégation politique et militaire turque.
    Toutes firent la même constatation,
notée par maints familiers de la cour : quinze mois de mariage et le
ventre parfaitement plat.
     
    À 10 heures du soir, ce même jour,
une Lincoln bleu sombre déposait devant le Kit-Kat deux messieurs, l'un grand,
de type européen, l'autre de taille moyenne, une dizaine d'années de moins,
beau garçon, mais un début d'embonpoint. Ils s'engouffrèrent rapidement,
escortés par le directeur de l'établissement en personne, et prirent place dans
un espace réservé, derrière une tenture qui protégeait

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