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Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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tutelle sur la Syrie et le Liban ? Situation d'autant plus fragile que,
le mois précédent, le 7 juillet,
ainsi qu'il l'avait laissé entendre à
Jean-François Levent, face au non-respect des engagements pris par la France et
à la cession à la Turquie d'Alexandrette, Hachem el-Atassi avait démissionné et
s'était retiré dans sa ville de Homs. La Syrie poussait la porte du chaos.
Enfin, vu de Bagdad, le rapprochement entre Staline et Hitler était alarmant,
car des trois pays les plus proches de l'URSS, l'Irak était celui où la
présence anglaise était la plus forte. Le conflit risquait donc de toucher les
villes irakiennes de plein fouet.
    Une
semaine plus tard, le 1er septembre, deuxième coup de tonnerre : les
armées du III e Reich entraient en Pologne.
    Le 3
septembre, troisième déflagration, la plus violente : la France et la
Grande-Bretagne déclaraient la guerre à l'Allemagne.
    Au Caire,
la nouvelle fut annoncée à midi : à Damas et à Bagdad, à 13 heures. Tandis
qu'Oum Kalsoum chantait toujours à la radio, des détachements de police vinrent
monter la garde devant l 'ambassade
de France à Guizeh, l 'ambassade
de Grande-Bretagne à Garden City et l 'ambassade d 'Allemagne à Kasr el-Doubara.
     
     
    *
     
     
    Tantah, 5 septembre 1939 .
     
     
    Taymour prit son fils dans les bras et lui confia, comme on révèle un
secret :
    – Je t'aime, mon Hicham.
    – Moi aussi, papa.
    Il contempla un instant le garçon. À treize ans, il avait un visage
farouche, voire rebelle. Yeux marron, lumineux et une large bouche aux lèvres charnues qui
n'étaient pas sans rappeler celle de son grand-père. De toute évidence,
l'adolescent était déjà doté d'un esprit critique et d'une grande perspicacité,
suivant les conversations des grandes personnes comme une souris les entretiens
des chats.
    – Papa, pourquoi est-ce que le roi ne
dit pas aux Anglais de partir ?
    Taymour, surpris, prit Loutfi et Nour
à témoin.
    – Que lui répondriez-vous ?
    Avant que son épouse ou son père
eussent le temps de parler, la réplique fusa des lèvres de Fadel, le cadet.
    – Parce que Farouk est un karagöz [96] . Or les karagöz ne sont que des
marionnettes et les marionnettes, des objets manipulés.
    D'abord interloqué, le trio se laissa
aller à une crise de fou rire incontrôlée. Il fallait un enfant de dix ans pour
résumer la situation de manière aussi concise.
    Loutfi bey applaudit.
    – Bravo, mon petit ! Comme
disait mon contremaître, Allah ait son âme : « La vérité devient un
poignard dans la main d'un enfant. »
    – Alors, se récria Hicham, Farouk ne
sera jamais vraiment roi ?
    – Va savoir ! Peut-être un matin
découvrira-t-il qu'il en possède la faculté. En attendant, nous sommes, hélas,
contraints à l'immobilisme et à l'abnégation.
    En fait, ce que Taymour ne précisait
pas, c'est que les réflexions de ses enfants reflétaient ses propres
sentiments. Voilà quelque temps déjà qu'il éprouvait un mépris plus ou moins
prononcé à l'égard des pouvoirs et des milieux politiques.
    Étrangement, Nidal el-Safi, à Bagdad,
partageait le même état d'esprit. Peut-être n'était-ce pas si étrange, après
tout : Taymour et lui avaient vu naître leur conscience politique au moment de la Grande Révolte. L'un dans la ferveur
nationaliste fouettée par Saad Zaghloul, l'autre dans l'atmosphère d'héroïsme
guerrier régnant autour de personnages comme Fayçal. Une fois entrés dans le
monde politique, ils avaient été progressivement confrontés aux compromissions
politiciennes, lesquelles n'avaient rien à voir avec la vision qui anime les
vrais hommes d'État.
     
     
    *
     
     
    Paris, 10 décembre 1939
     
     
    Jean-François décacheta l'enveloppe et annonça à
Dounia :
    – Une lettre de ton frère. Si j'en juge par la date,
elle a mis quatre mois à nous parvenir.
    Il se laissa choir dans le fauteuil le plus proche de la
cheminée et lut à voix haute :
     
    Bagdad, 10 août 1939
     
    Mon cher
Jean-François, ma chère Dounia,
     
    Je me demande parfois
si le Très-Haut ne serait pas doté du sens de l’humour et s'il ne nous
donnerait pas des signes secrets pour nous prévenir du danger. C'est ce que je
suis tenté de conclure quand je pense au sens moderne du mot
« ghazi », qui est tout simplement « gazeux ». Nous avons
perdu une bulle de gaz.
     
    Jean-François ne put s'empêcher de rire devant la
métaphore et poursuivit sa lecture.
     
    Abdallah, le

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