Le souffle du jasmin
quelle raison veux-tu être
soldat ?
– Pour libérer mon pays.
– Allons ! D'autres s'en chargeront à ta place !
D'ailleurs, ce n'est pas un métier, soldat.
À quoi Hicham rétorquait : « Je serai
soldat. »
Fadel, lui, ne savait trop quelle voie emprunter. Alors
qu'il était plus petit, sa mère l'avait interrogé sur sa future vocation et sa
réponse avait fait hurler de rire tout le monde : « Cheval de
course. » Un rire, s'était dit Taymour, qui valait bien tous les titres de
bey, pacha ou ministre.
*
Le 2 novembre, un dimanche, un domestique vint lui annoncer
qu'un certain Mohieddine l'attendait au bout du fil.
Mohieddine ? Ce ne pouvait être que Zakaria, l'ami
de Zulficar, cet homme qu'ils avaient salué au Café Ma’aloum. D'ailleurs, il
n'était pas seul ce jour-là. Il y avait avec lui un personnage au sourire
carnassier dont il n'avait gardé en mémoire que le prénom : Gamal.
Deux ans au moins s'étaient écoulés depuis leur
rencontre. Que lui voulait-il ?
Taymour saisit le combiné.
C'était bien Zakaria Mohieddine.
– Je comprends ta surprise, mais notre ami Ahmed Zulficar
a bien voulu me donner ton numéro. Nous allons déjeuner au café des Pigeons,
sur la route des Pyramides, et nous serions heureux que tu te joignes à nous.
Tu pourrais amener ton épouse et tes enfants. Il fait un temps splendide. Nous
y serons à 13 heures. Nous t'attendons ! Mael
salama ! À
tout à l'heure !
Avant même
que Taymour eût te temps de répondre, l'autre avait raccroché.
D'abord
agacé, puis hésitant, il pensa qu'après tout le moment était venu de renouer
avec la vie publique. Il proposa à Nour de l'accompagner, mais elle déclina
l'invitation ; elle attendait précisément des amies à déjeuner. Il fit la
même proposition à ses enfants, Seul Hicham voulut bien y répondre
favorablement.
Trois
quarts d'heure plus tard, le père et le fils débarquaient au café des Pigeons,
où Zakaria et Ahmed étaient déjà attablés.
– Ravi de
te revoir ! s'exclama Zakaria, le visage plus lisse que jamais. Tu as les
amitiés de Gamal.
–
Gamal ?
– Gamal
Abdel Nasser. L'ami qui...
– Oui,
oui. Je suis seulement surpris qu'il se souvienne encore de moi.
Zakaria
désigna Hicham.
– C'est
ton fils, j'imagine ! Mâcha'Allah ! Quel don de Dieu !
Il
embrassa le garçon affectueusement et l'invita à s'asseoir à sa droite, tout en
enchaînant :
– Pour en
revenir à Gamal, sache qu'il t'a beaucoup apprécié. C'est un homme étonnant. Tu
apprendras un jour à mieux le connaître. Pour ma part, je suis persuadé qu'il
sera amené un jour où l'autre à jouer un rôle dans ce pays.
– Salam aleïkoum ya chabab ! La paix soit sur vous, les jeunes !
En levant
la tête vers celui qui venait de les apostropher d'une voix tonitruante, quelle
ne fut pas la surprise de Taymour de découvrir un soldat d'environ vingt-trois
ans, aux cheveux coupés en brosse, à la raideur étrange et portant monocle. On
eût cru voir un Oberführer dans une parodie anglaise.
Aussitôt,
Zakaria annonça :
– Anouar,
un ami de longue date. Taymour Loutfi.
Ahmed lui
proposa de s'asseoir. Il répondit qu'il l'aurait fait volontiers, mais qu'il
attendait un collègue.
– Qu'à
cela ne tienne, qu'il se joigne à nous.
– J e n'ai pas très bien saisi le nom de votre ami, fit
observer Taymour tandis que le personnage s'éloignait,
– Anouar, Anouar el-Sadate. Ou plutôt Anouar von Sadate,
– Von Sadate ? s'exclama Hicham,
éberlué.
– Je vous expliquerai plus tard. Le
voilà qui revient.
Le compagnon
d 'Anouar, un soldat lui aussi, déclina son identité : Salah Salem. Il avait l'allure d'un jeune homme aux manières bon enfant. Il expliqua qu'il venait d'être admis à l'Académie
militaire d'Abbassieh et avait l'intention de faire carrière dans l'armée, sa seule passion.
– M oi aussi, annonça Hicham en bombant le torse. Moi aussi, un jour, j'entrerai à l'académie,
– Toutes mes félicitations, mon garçon,
le congratula Sadate. Nous avons besoin d'hommes comme toi,
prêts à se dévouer pour leur patrie.
Il se tourna vers Taymour et
poursuivit :
– Des hommes à l'image de ton
père !
Et, dans la foulée, comme s'ils
s'étaient donné le mot, lui et Salah Salem se lancèrent dans les
plus chaleureux éloges sur le comportement de Taymour du temps où
il siégeait au Parlement.
– Mon ami, conclut Sadate, avec tant
d'emphase que son
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