Le souffle du jasmin
croyable ! Dans l'espoir de
recouvrer sa légitimité perdue, et soutenu par le président du Conseil, Nahas
pacha, le roi Farouk avait décidé tout à coup de dénoncer le traité établi
entre l'Égypte et l'Angleterre ; texte vieux de quinze ans qui faisait du
contingent anglais stationné dans la zone du canal de Suez un occupant
« légal ». Signé en août 1936, ce document avait toujours été vécu
par les Égyptiens comme une ignominie.
Il
régla l'addition.
– Très bien, allons-y !
Une
dizaine de minutes plus tard, les deux hommes pénétraient sous la coupole du
parlement où régnait une atmosphère électrique. On sentait que quelque chose
d'extraordinaire allait se passer.
Un silence impressionnant se fit lorsque Nahas pacha,
monta à la tribune. Il commença à lire un texte retraçant les différentes
étapes qui conduisaient à la signature du funeste traité. L’exposé terminé, il
se tut, balaya la salle du regard comme pour mieux exprimer la solennité du
moment, et déclara d'une voix forte :
– En 1936, pour
l'Égypte, j'ai signé le traité. Aujourd'hui, pour l'Égypte, je l'abroge !
Et, balayant le protocole, il s'écria avec force :
– À présent, tout cela est terminé ! Les Anglais
doivent foutre le camp sans délai !
Taymour était abasourdi. Les deux cent quatorze députés
s'étaient levés. Il fît de même. La salle du Parlement croula sous les
applaudissements.
Lorsqu'il ressortit, il titubait sous le poids du
soleil. À moins que ce ne fut l'émotion ?
Dans la voiture qui le ramenait à la villa, il garda le
silence. Et si enfin, c'était le début de tout ? Si l'Égypte s'était
trouvé un chef inattendu en la personne de Farouk ? Si...
À peine arrivé à la maison, il alla d'une pièce à
l'autre en poussant des cris : « Nour ! Hicham !
Fadel ! »
Ses deux fils déboulèrent, affolés.
– Que se passe-t-il ? Tu vas bien ?
Nour apparut à son tour, et exprima elle aussi son
inquiétude.
– Tu es malade habibi ? Ça va ?
Après tout, son mari n'avait plus la forme de sa jeunesse. Victime
l'automne précédent d'un méchant infarctus, il avait été contraint
de freiner, voire d'abandonner nombre de ses activités.
– Rassurez-vous ! Je ne me suis jamais senti mieux.
Il se balança légèrement d'avant en arrière avec un air mys térieux
et annonça :
– Sut ordre du roi, Nahas
pacha a abrogé le traité d 1936 !
– Quoi ?
– Attendez ! ce n 'est pas
tout ! Nahas a dit...
Il fixa ses enfants,
son épouse.
– Il a dit aux Anglais d'aller se faire foutre !
Hicham tomba dans les bras de son frère qui lui-même enlaça sa mère,
laquelle s'était jetée dans les bras de son mari.
– C'est merveilleux ! s'exclama Hicham. Nous allons célébrer cet acte
courageux en organisant une manifestation de soutien au gouvernement !
– Oui, approuva Fadel ! Pour une fois que le roi s'engage !
Nous devons le suivre et l'appuyer !
Et
le pays tout entier salua le geste. Hélas, très vite, l'allégresse céda la
place au désenchantement. À la volonté égyptienne les négociateurs anglais
opposèrent le flegme qui les caractérise. Pas question de céder d'un pouce. La
tension monta. La rue réclama à cor et à cri l'évacuation des troupes
britanniques. Dans les écoles, les universités, les mosquées, maîtres et
professeurs, imams prêchèrent la lutte. Des coups de main furent menés par de
jeunes passionnés auxquels se joignirent Hicham et Fadel, mais sans résultat.
En
réaction aux menaces qui s'élevaient de la rue, l'Angleterre choisit
d'accentuer sa pression. Elle fit passer ses effectifs militaires de soixante
mille à quatre-vingt mille hommes.
Que
faire ? C 'était le pot de terre contre le pot de fer. Les
incidents allèrent se multipliant. Un matin, des autos blindées britanniques
ouvrirent le feu sur un groupe qui évoluait près d'un camp militaire. Quinze
personnes furent tuées, vingt-neuf blessées. Une bavure. Le groupe n'était en
fait qu'un cortège funéraire se rendant au cimetière.
Les
jours passèrent. Impavide, le gouvernement de Sa Majesté s'enferrait dans son
refus.
Les
Américains se mirent alors de la partie en faisant savoir qu'ils soutenaient
leurs amis anglais. Quoi de plus naturel ? Ils comptaient sur les troupes
britanniques présentes en Égypte pour soutenir à l'occasion leurs propres
initiatives, ce qui les dispensait d'expédier leurs propres soldats dans
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