Le souffle du jasmin
mille réfugiés palestiniens dénués de tout. La situation de ces
réfugiés est désespérée. Trente pour cent sont des enfants de moins de cinq ans
qui vivent presque entièrement sans nourriture, sauf quelques faibles
approvisionnements en farine. »
Le 17 septembre, à Jérusalem, Bernadotte, accusé
d'antisémitisme, est assassiné par un membre du groupe Stern.
La trêve décidée par l'ONU se révéla fatale aux armées
arabes, alors que Jérusalem était totalement encerclée par l'armée
transjordanienne, que les réservoirs et les pompes de Latroun qui
l'alimentaient se trouvaient hors d'état et que la chute de la ville était
affaire de jours. L'arrêt des combats a permis aux Israéliens de se ravitailler,
de se réapprovisionner en armes, alors que, dans le même temps, les armées
arabes se contentaient de reprendre leur souffle.
La trêve touche à sa fin.
Au fond, personne ne se fait d'illusions, et sûrement
pas Nasser. Quoi qu'il advienne, la guerre est perdue.
Elle le sera.
36
C'était
l'audace de la peur.
Michelet.
Tantah, janvier 1950
Ahmed Zulficar s'interrompit, alluma une cigarette et restitua le
briquet à Taymour Loutfi.
La belle Luella, le matador, assise entre les deux hommes, paraissait
rêvasser.
– Et, finalement, reprit Zulficar, la police militaire a perquisitionné
chez notre ami Nasser. Après lui avoir présenté un mandat d'arrêt, elle l'a
conduit chez le Premier ministre Ibrahim Abdel Hadi en personne.
Taymour plissa le front.
– De quoi l'accuse-t-on ?
– De faire partie des Frères musulmans et de comploter contre le
régime. Apparemment, la popularité de notre ami au sein de l'armée commence à
leur poser problème. Mais ce qui les inquiète surtout, ce sont les Zobat
el-Ahrar, le Cercle des officiers libres.
– Le Cercle des officiers libres ? répéta Fadel.
– Il semble que ce soit une association secrète composée d'officiers
révoltés par la conduite de la guerre de Palestine et de la politique du
gouvernement.
– Et Nasser en ferait partie ?
Ahmed Zulficar se mit
– Mieux. Tout porte à
croire qu'il est leur président. Ils seraient une dizaine à appartenir à ce
cercle, parmi lesquels notre cher von Sadate, qui, comme tu le sais, a été
libéré.
– Sait-on leurs intentions ?
Zulficar fit non de la tête.
Par la fenêtre ouverte parvenaient les mélopées d'un
marchand des quatre saisons vantant sa marchandise.
Tout à coup, Hicham consulta sa montre et se leva
aussitôt.
Il annonça :
– Je dois vous quitter, hélas.
– Où vas-tu ? s'étonna son père. Le repas va
bientôt être servi.
– Ce n'est pas grave. Dînez sans moi, je n'ai pas faim.
Sans autre explication, il quitta la pièce, comme
quelqu'un qui fuit un incendie.
– Décidément, grommela
Taymour à l'intention de Fadel, ton frère devient bizarre. Depuis qu'il a
quitté l'Académie militaire et qu'il est rentré à l'armée, il se comporte comme
s'il mangeait du haschisch au petit déjeuner. Je me demande d'ailleurs s'il
n'en fume pas.
– Non, papa !
Jamais. Pas Hicham. Il rejette même la cigarette.
– Il faudrait quand
même que je vérifie. Son attitude n'est pas normale.
Le
soir, quand, après le bulletin d'informations, la radio diffusa comme
d'habitude la marche triomphale d'Aïda, Taymour rumina confusément.
Aïda . L'opéra que Verdi avait composé spécialement pour l'ouverture
de l'Opéra du Caire, l’année de l'inauguration du canal de Suez, s'inspirait de
l'histoire de l'Égypte antique.
Oui,
se dit Taymour, en se glissant au lit tout contre Nour qui dormait déjà à
poings fermés, oui, mais les pharaons, eux, se préoccupaient de la grandeur de
leur pays.
Comment
aurait-il pu deviner que Hicham aussi s'en souciait ? Hicham qui, à cet
instant précis, dans une maison anonyme d'Héliopolis, la banlieue du Caire,
achevait de pendre des notes, sous l'œil grave de Nasser, de Sadate et d'une
dizaine d'autres officiers...
*
Octobre 1951
Taymour
n'en revenait pas. Il fit répéter l'information à son interlocuteur, Salama
pacha, le doyen du Parlement.
– Puisque je te dis que c'est vrai ! Accompagne-moi
et tu pourras vérifier par toi-même. Il va s'exprimer dans vingt minutes. À 11
heures précises.
Taymour
Loutfi leva les yeux au ciel tout en secouant la tête à plusieurs reprises. Ce
qu'il venait d'apprendre était à peine
Weitere Kostenlose Bücher