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Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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prie.
    Mourad s'immobilisa, parut méditer un instant et s'affala sur le divan, épuisé.
     
     
     
    *
     
     
    Alep,
même jour
     
     
    À mesure que le soleil montait entre les minarets, la chambre à coucher se remplissait d'aube et de
rumeurs.
    Dounia effleura
de ses lèvres le front de Jean-François et quitta le lit, offrant sa nudité à
la lumière.
    — Je vais faire du thé.
    Irréalité. C'était bien le mot. Un mois et dix jours qu'il partageait la
vie de Dounia et pas un instant où il ne s'était dit : « Je suis dans
le rêve. Cela ne se peut pas. » Étrange comme un bonheur devient brûlure
lorsqu'on a la prescience qu'il sera peut-être le dernier. Le jour où elle lui
avait murmuré : « Ce sera la première fois », il n'avait pas
saisi tout de suite le sens de la phrase. La première fois qu'elle ferait
l'amour ? C'était vrai pourtant. Pour des raisons qu'il ne s'expliquait
toujours pas, elle lui avait fait ce don, alors qu'elle avait pensé les
semaines précédentes à le fuir. Il était l'envers de son miroir, et elle
s'était donnée. Il avait perçu quelque chose de désespéré et de bouleversant
dans cet acte. Gauche et tendre, louve et moineau. À un moment, alors qu'il
entrait lentement en elle, son cœur s'affola et il eut la certitude de n'être
plus homme, mais enfant, fœtus, la vie revenue à la vie dans le ventre de celle
qu'il aimait.
    Dans quelques
heures, il serait en route pour Damas, puis Beyrouth, d'où il embarquerait pour
Marseille. Destination finale : Paris. Et après ? La situation
syrienne étant plus ou moins stable, l'Irak empêtrée dans les mailles
britanniques et les 23 % de parts de la Turkish
Petroleum pratiquement
acquises à la Compagnie française des pétroles, il y avait de fortes chances
pour que le Quai d'Orsay juge inopportun un nouveau voyage pour l'Orient ;
on allait probablement lui attribuer un joli bureau, au chaud. Loin de Dounia.
    Il se redressa
et se cala parmi les coussins. Dounia était revenue. Elle déposa sur le lit un
plateau garni d'une théière et de deux minuscules verres à anses dorées.
    – Mon maître et seigneur est servi, lança- t -elle, enjouée,
    – Je ne sais lequel de nous deux est seigneur et maître de l'autre, s'amusa
Jean-François. Tu me manques.
    – Tu n'es pas encore parti.
    – Tu me manques quand même. Tu m'as toujours manqué, Dounia. Même quand nous faisons l'amour, tu me manques.
    Elle lui
caressa la joue tendrement.
    – Tu ne veux toujours pas me suivre en France, m'épouser ?
    – Non, Jean-François. Je ne suis pas prête. Patiente. J'ai besoin de temps.
    – Tu devrais le savoir : le temps passe vite pour celui qui réfléchit,
il est interminable pour celui qui désire.
    Elle versa du
thé et lui tenait l'un des
verres.
    – Dis-moi la vérité. Nos visions différentes du monde te font toujours
hésiter ?
    Elle fit non de
la tête.
    – Ma religion ?
    Elle sourit.
    – Je crois en un seul Dieu, mais je ne sais pas si Mahomet est son Prophète.
Et toi, que crois-tu ?
    – Je crois en un seul Dieu, mais je ne sais pas si Jésus est son fils.
    – Alors, tout va bien. Nous partageons la même religion.
    Il but une
gorgée de thé.
    – Quand ? Quand sauras-tu si tu veux être ma femme ? Quand
décideras-tu de me faire une ribambelle d'enfants irako-français, aussi
irrévérencieux que leurs parents ?
    – Je te dirai. Je te dirai.
    – Tu n'as pas oublié ? Peu m'importe le lieu où nous vivrons. La
France, Bagdad, Damas ou Jupiter. Je ne t'impose rien. Seulement de t'aimer.
    – Je sais. Tu m'as tout dit. Je sais.
    Un court moment
de silence passa.
    – M'accorderas-tu une ultime faveur avant
mon départ ?
    Il désigna le piano.
    Elle sourit.
    – Toujours le même morceau ?
    – Toujours.
    La voix du muezzin s'éleva au moment où Dounia faisait chanter les
premiers accords de l’ Arabesque
n°  1 de Debussy.

 
     
     
     
18
     
     
     
     
    Aucune carte du monde n'est digne d'un
regard, si le pays de l'utopie n'y figure pas.
     
    Oscar Wilde.
     
     
    Le
Caire, 25 mai 1921
     
     
    Voilà dix
minutes que Latif, Mourad et Taymour étaient attablés chez Groppi, le salon de
thé le plus couru du Caire, et aucun d'entre eux n'avait prononcé un seul mot.
Ce n'était certainement ni l'endroit qui était cause de leur mutisme ni la
qualité des pâtisseries, réputées pour être les plus exquises de tout l'Orient,
mais l'humeur maussade de Mourad. Le Palestinien arborait un

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