Le souffle du jasmin
quelque temps est inadmissible.
Attaquer des Juifs innocents, les pourchasser, les tuer, ce n'est pas ainsi que
nous gagnerons la sympathie du monde. Après tout, ces émigrés ne sont pas
vraiment responsables. Mais ceux qui les manipulent et leur font croire qu'ils
débarquent sur une terre sans peuple. Oui. Voilà les vrais coupables. Non. Pas
de violence. Pas de sang sur nos mains. Pas...
– Je partage
ton point de vue, coupa Mourad. Mais qu'envisages-tu concrètement ?
– La création
d'un bureau de la Palestine. Au Caire, pour commencer. Nous devons
communiquer !
– Ton cousin
parle d'or, commenta Ahmed Zulficar. Dans ce domaine, reconnaissons que nous,
les Arabes, sommes en dessous de tout.
– Exact,
confirma Latif el-Wakil. Alors que les sionistes, eux, sont brillants, unis,
éduqués, solidaires et, de surcroît, ils sont proches du pouvoir occidental
parce qu'ils vivent en Europe, nous, nous sommes loin et passons notre temps à
lancer des imprécations assis autour d'un plat de sucreries ! Il n'est
qu'à voir le talent d'un homme comme Weizmann. Vous auriez dû entendre son
discours, à Jérusalem. J'y étais. Un personnage remarquable ! Et il n'est
pas le seul. Ils ont aussi des figures puissantes comme ce Ben Gourion, le
nouveau secrétaire général de l'Association générale des travailleurs d’ Eretz Israël , la terre
d'Israël.
– Il répéta en
plaquant sa paume sur la table :
– La
communication.
– Ton idée est
intéressante, reconnut Mourad. Toutefois, il nous faut des moyens. Des moyens
financiers, bien évidemment.
– Je sais. Je
me suis déjà mis en rapport avec des Palestiniens fortunés. Ils sont disposés à
nous aider. Ton père aussi.
– Le mien ne
sera pas en reste, surenchérit Taymour. Je lui ferai casser sa tirelire.
Ahmed Zulficar
leva la main.
– Vous pourrez
aussi compter sur le Wafd. Je me fais fort de convaincre nos instances.
D'ailleurs, à ce propos je vous annonce une bonne nouvelle : je viens
d'accéder au poste de deuxième secrétaire délégué aux affaires économiques du
parti. Ce qui me permettra de défendre votre cause avec plus d’efficacité.
– Tu oublies un
détail, objecta Mourad. Votre sultan vous mettra des bâtons dans les roues.
– Notre
sultan ? Ce fantoche ? Un Turco-Albanais italophone ?
Il expliqua à
Latif :
– Tu savais que
notre cher Fouad I er ne parle pas un mot d'arabe ? L'Égypte est
gouvernée par un individu qui ne connaît même pas notre langue !
Le Palestinien
secoua la tête, consterné.
– Quelle
tristesse !
– Reste à
espérer, dit Zulficar, que son fils, Farouk, réparera cet outrage fait à un
peuple !
Latif consulta
sa montre.
– Mes amis, je
vous rappelle que les délégués irakiens et syriens nous attendent. Le
rendez-vous a été fixé dans une dahabieh qu'un membre de l'Istiqlal, a mis à
notre disposition. Et il est déjà 16 heures !
–
L'Istiqlal ? s'étonna Mourad.
– Les Gardiens
de l'indépendance. C'est un parti fondé en Irak, il y a environ trois ans, et
qui a établi des branches clandestines, à Bagdad bien sûr, mais aussi en Syrie
et ici, en Égypte.
– Tu vois,
murmura Taymour à l'oreille de Mourad. La toile d'araignée se tisse peu à peu.
Rappelle-toi ce que disait le grand Ibn Khaldoun : « Il n'est rien
sous le soleil qui ne change, même les montagnes. Les empires durent plus
qu'une vie humaine, certes, mais ils connaissent le même sort. Ils sont mortels
eux aussi. »
À l'extérieur
de la pâtisserie, sur la place Soliman-Pacha, ils tombèrent nez à nez avec un
groupe de manifestants qui brandissaient des calicots sur lesquels on pouvait
lire en lettres noires : « Rendez-nous Zaghioul ! Ou la
mort ! »
– Allah est
grand ! s'exclama fièrement Ahmed Zulficar, le peuple ne baisse pas les
bras. Si les Anglais persistent à ♦ maintenir mon oncle en exil, alors un jour viendra où c'est la moitié de
l'Égypte qu'ils devront déporter !
*
Au-dessus de la dahabieh, le ciel avait pris une couleur presque ocre en
raison des vents de sable venus du Mokattam, la colline qui surplombait Le
Caire. Cette année, exceptionnellement, le Khamsin [76] s 'éternisait. Assis dos au Nil, Rachid el-Keylani, le seul délégué irakien
présent, roulait entre ses doigts les grains de son chapelet avec une dextérité
impressionnante. De temps à autre, il prenait le temps de le faire tournoyer
autour de son index, puis
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