Le souffle du jasmin
britanniques, les Tommies, avec toutes les maladies
vénériennes de la terre.
Maintenant que tu es devenu un homme d’affaires, venait d'ironiser Soliman. Son frère cadet n'avait pas
tort. Mais Mourad avait-il eu le choix ? En revenant à Haïfa, il avait
pris place tout naturellement aux côtés de son père à la direction de Shipshandlers and son , consacrant toute son énergie à
résister à la concurrence de plus en plus sévère de leur rival direct : Brohnson
Shipshandlers .
Mourad avait découvert une Palestine plus bouleversée
que je jour où il l'avait quittée. Au cours des dernières années, la tension
n'avait fait que croître entre les communautés juives et arabes, tandis que les
grands de ce monde discutaillaient de l'avenir de l'une et de l'autre à la
Société des Nations. Le Vatican soutenait les revendications palestiniennes du
bout des lèvres, la France campait sur sa réserve, Londres persistait dans son
attitude. Herbert Samuel n'avait-il pas déclaré en septembre 1923 :
« Le gouvernement de Sa Majesté s'est livré à une étude approfondie de la
question de l'administration de la Palestine. À la suite de cette étude, il a
pris certaines décisions très nettes. La Déclaration Balfour a été acceptée par
tous les Alliés, y compris les États-Unis, approuvée à l'unanimité par les deux
chambres. Elle fait partie intégrante du mandat qui a été définitivement
ratifié par la Société des Nations. Le gouvernement considère qu'il ne saurait
être question de la répudier. » Et le haut-commissaire d'asséner :
« La Palestine reste jusqu'à nouvel ordre sous le régime d'une colonie de
la Couronne d'Angleterre. »
– Puis-je me joindre aux hommes ?
Samia venait de retrouver ses frères sur le perron.
Resplendissante, la petite fille était devenue une femme
de vingt ans aux charmes envoûtants.
– De quoi parliez-vous ?
– D'affaires et de
poésie, ironisa Soliman.
Mourad fit observer :
– Ton frère me reproche d'être devenu un business man. En
adulte responsable, il pense sûrement que nous pourrions vivre de ses poèmes.
– Oh ! C'est un rêveur. Et un provocateur.
Elle ébouriffa affectueusement la chevelure de Soliman autant :
– N'est-ce pas, habibi ?
– Provocateur, rêveur ? Ces qualificatifs te
conviendraient mieux qu'à moi.
La jeune fille sourcilla.
– Oui, reprit Soliman. Tu as eu vingt ans le mois passé et tu refuses
toujours de te marier. N'est-ce pas de la provocation ?
– Me marier ? Mais avec qui ? Avec Mahmoud,
notre voisin ? Il est tellement bête que même les ânes l’évitent quand ils
l'aperçoivent. Avec ce patapouf de Obeïd ? Notre lit de noce s écroulerait sous son poids ! Avec...
– Allons, allons, protesta Mourad. Dis plutôt que tu
n’as aucune envie de prendre un mari, c'est tout.
– Faux ! Mais tout le monde n'a pas ta chance. Tu
es tombée sur une perle. Tu sais ce que raconte Mariam, ma copine ? Elle
dit que le mariage, c'est comme les melons : un sur dix tient ses
promesses. Alors, j'attends de trouver le bon.
Soliman ricana.
– Tu risques d'attendre longtemps, ma chère, et,
entre-temps, papa et maman mourront de désespoir.
– Pense plutôt à toi, tu veux bien ? Je me marierai bien avant que
tes poésies ne soient éditées !
Elle adopta un air hautain et entra dans la maison.
*
Paris, 21 juillet 1925
Dépouillant les dépêches du jour, Jean-François Levent
crispa la mâchoire. Sa secrétaire, Marie Weil, l'interrogea de ses yeux gris.
Il brandit un télégramme.
– Et maintenant, la Syrie qui plonge en pleine
insurrection. Gouraud n'est plus aux commandes, il a été rapatrié à Paris
définitivement et remplacé par un fou furieux : le général Maurice
Sarrail, à qui on adjoint Gamelin pour pacifier la région. Pacifier ! Vous
m'entendez, mademoiselle ? Pacifier à coups de canon !
Il pensa à part soi : Dounia... Si la guerre civile
éclatait, qu'allait-elle devenir ? La dernière fois qu'ils s'étaient vus,
remontait à six mois. Depuis, ils avaient dû échanger quelques dizaines de
lettres sans que jamais il parvienne à la convaincre de l'épouser.
Elle l'aimait, mais pas au point de vouloir partager le même toit que lui.
En août
1924, elle avait accepté de venir passer l'été à Paris. Bonheur fou.
Embrasement hélas retombé une fois qu’elle fut repartie.
Il alluma
fébrilement une cigarette.
— Vous
comprenez,
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