Le souffle du jasmin
des libertés politiques, ils s'en servent contre nous et chez
nous-mêmes. J'ai l'impression que la politique coloniale – de quelque nom qu'on
la décore – est chose périmée et en train de disparaître. Aussi, suis-je bien
convaincu que nous évacuerions la Palestine et ses champs de cailloux, que nous
abandonnerions à elle-même sa population famélique et querelleuse, si nous le
pouvions. Mais nous sommes prisonniers de notre Déclaration Balfour. Les Juifs
tiennent notre gouvernement à la gorge et ne le lâcheront pas. En ce qui me
concerne, a ajouté sir Gilbert Clayton, je suis décidé à vider les lieux en
avril prochain et à rentrer dans la vie privée. J'en ai assez [78] . »
Levent se
tut à nouveau et observa son ministre de tutelle dans l'attente d'une réaction.
Après un long temps de silence, celui-ci déclara :
—
Rédigez-moi donc un mémoire, je vous prie. Exprimez vos craintes, sans détour.
Je le lirai et si je l'approuve, je le communiquerai à l'ambassadeur
d'Angleterre à l'intention de son ministre. Mais je ne vous cache pas que je
n'attends pas de résultats de sitôt. La politique orientale des Anglais est
comme un paquebot lancé à toute vitesse. Elle ne s'arrêtera pas en un jour.
– Je vous
l'accorde, monsieur le ministre, mais pour ce qui est de la situation en Syrie,
c'est notre propre paquebot qu'il
nous faudrait freiner. Les dernières nouvelles sont extrêmement alarmantes.
Le...
– C'est urgent, intervint timidement Mlle Weil en
tendant un câblogramme à Jean-François. Ce dernier le parcourut et leva les
yeux vers Briand.
– C'est bien ce que je craignais.
– Parlez donc !
– La révolution syrienne a commencé.
– Mais encore ?
– Des insurgés, commandés par un certain sultan
El-Atrach, se sont soulevés dans le Djebel el-Druze [79] L'insurrection se propage à Damas, Qalamoun, Hama, le
Golan et dans le sud-est du Liban. La Syrie est en feu.
Le ministre hocha la tête avec componction.
– Hélas, le sort du monde est d'aller toujours mal. Cela
a commencé avec le départ d'Adam et Ève du Paradis.
Jean-François Levent hocha la tête. Courtoisement. Il
n'était, à tout prendre, qu'un fonctionnaire face à un homme politique de
stature internationale. Mais ça ne changeait rien à la réalité dont il était
cruellement conscient.
– Je vais réunir le Cabinet, enchaîna Aristide Briand.
Nous jugerons des décisions à prendre. Vous partirez ensuite pour Damas
rencontrer le remplaçant de Gouraud, le général Maurice Sarrail.
Levent acquiesça. Les mots que Dounia avait prononcés un
jour à Alep lui revinrent en mémoire : « Je suis convaincue que nous
devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon, tôt ou tard, nous
mourrons ensemble comme des idiots. »
20
L’humanité est une vieille
ivrognesse qui, passe son temps à cuver ses dernières guerres.
Jules
Romains.
Damas,
10 août 1925
Le général Maurice Sarrail, nouveau haut-commissaire de
la République française en Syrie, lissa machinalement sa manche et
poursuivit :
– J'ai bien compris les instructions du ministre,
monsieur Levent. À présent, si vous me parliez du sultan el-Atrach ? Il
commence à nous donner du fil à retordre, ce bougre.
Levent prit le temps de jeter un regard circulaire
autour de lui, s'arrêtant tour à tour sur le lieutenant-colonel Andréa, le
général Gamelin, tout juste rentré du Brésil, nommé commandant des troupes
françaises du Levant et, enfin, le général Garnier du Plessis. Une
constellation d'étoiles.
– Les renseignements dont nous disposons sur El-Atrach
sont assez succincts. Il a environ trente ou trente-cinq ans. Bel homme à ce
qu’on dit. D'imposantes bacchantes à la polonaise. Il appartient à une très
importante famille druze qui a toujours régné en maître absolu sur le Djebel.
Déjà en 1910, son père livrait bataille contre l'occupant ottoman. Il y a
d’ailleurs laissé la vie. Son fils a pris la relève et combattu aux côtés des
Anglais. C'est dire si l'homme s'est senti frustré lorsqu’il a compris que lui
et son père avaient risqué leur vie pour rien.
– Maintenant, je comprends mieux sa
hargne et son désir de nous humilier. Saviez-vous qu'il a lancé son offensive
le 14 juillet ?
Levent
répondit par la négative.
Sarrail
quitta son bureau, saisit au passage une baguette qu'il plaqua sur une carte
figurant la Syrie et sur un
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