Le spectre de la nouvelle lune
et domestiques de Paquette ont montré une affliction sincère, autant que j’aie pu en juger, et ont vraiment remué ciel et terre pour la retrouver…
Erwin fit quelques pas de long en large, plongé dans ses pensées. S’arrêtant soudain, il adressa un sourire à ses assistants.
— Eh bien, leur dit-il, nous avons pu remplacer quelques énigmes par des questions… Voilà qui est bien, très bien ! Sur un point cependant nous demeurons dans une totale obscurité : le sort de ces viguiers en mission si extraordinaire qu’après des initiatives étranges ils ont disparu !… Quant à ce spectre de la nouvelle lune, nous en entendrons parler de nouveau, je crois, avant longtemps… Ah ! n’oublions pas non plus ce sabotier qui s’est esquivé.
— Oui, on s’éclipse beaucoup en Brenne, plaça Timothée avec un sérieux imperturbable.
Dès le lendemain matin, Erwin et ses assistants, armés, accompagnés par Sauvat et deux gardes, ainsi que par un moine comme truchement, se rendirent à Paulnay qu’ils atteignirent en une heure de chevauchée au petit trot. Les habitants, impressionnés par cette troupe, s’étaient enfuis ou réfugiés, porte close, au fond de leurs demeures. Il fallut toute la diplomatie du frère Antoine et de Doremus, facilitée par la distribution de quelques deniers, pour parvenir à faire témoigner un vannier, qui se nommait Bignot, concernant le passage par ce hameau des deux viguiers Berthet et Godart. Ils avaient, sans autre indication, demandé un guide pour les mener à la « villa du Romain ».
— De quoi s’agit-il, qu’est-ce donc que cette villa ? s’enquit le frère Antoine.
Le vannier marmonna une prière avant de répondre :
— Ben, oui, c’est une espèce de villa, moitié effondrée, en partie inondée, avec des caveaux, des souterrains, des fossés où grouillent des vipères d’eau… C’est pas loin d’ici, à côté d’une fontaine… Sûr que cette villa est depuis toujours… enfin depuis le temps où, à ce qu’il paraît, des Romains vivaient par ici… A l’époque, elle devait être belle… vu qu’en ces temps-là… Mais aujourd’hui…
Il se signa avant de poursuivre :
— Ces viguiers que tu dis sont arrivés chez nous, il y a de ça trois semaines, au début de l’après-midi. Donc ils ont demandé quelqu’un pour les conduire jusque là-bas. Ils ont eu de la difficulté à le trouver.
— Pas assez d’argent ? demanda Doremus.
— Si fait ! Mais c’est que ce coin-là a une sale réputation, très mauvaise, très pire même je devrais dire… La villa, elle, est hantée… oui… par des êtres malfaisants, infernaux, mi-bêtes mi-femmes, dont le baiser fait pourrir la chair, par des vampires avec des dents comme ça, qui vous sucent le sang d’un homme d’une seule lampée ! Il y a aussi des sortes de choses qui changent tout le temps… la forme… et aussi la couleur… Tu dirais un gros crapaud, mais alors là énorme, tout gluant, puis c’est une chauve-souris grande comme un aigle, avec une tête de renarde, et, après, une longue salamandre, flamboyante, avec des cornes, des yeux de braise, et un long dard venimeux…
Il se signa de nouveau.
— Il y en a qui voulaient pas y croire. « Je veux voir avec mes yeux », qu’ils disaient. Eh bien, ils ont vu ! Tiens, le Fradet, le tonnelier… Il est parti une nuit que ça faisait le tapage par là-bas… Parce qu’il faut vous dire que certaines nuits, surtout à la nouvelle lune, ils arrivent avant la sixième heure ( 14 ), sur des chevaux noirs ou sur des charrettes fantômes, les charrettes de la mort… et alors, de loin, on voit des lueurs, des flammes, rouges, jaunes, noirâtres…
— Des flammes noirâtres ?
— Comme je te le dis ! Des flammes venues tout droit des enfers ! Et ça fait un vacarme, là-dedans, des cris, des sifflements, des hurlements… Et cette musique ! Les trompettes du diable, pour sûr !
Le vannier reprit son souffle.
— Je te disais… le Fradet… Il est parti une nuit comme ça. Deux jours absent qu’il est resté ! Il nous est revenu tout pâle ; il titubait, il reconnaissait plus personne, il savait plus où il était, même pas qui il était. Depuis plus rien ! Il est resté idiot ! Et la Juliette, curieuse comme tout, une gaillarde, une luronne, vous pouvez me croire. Elle, c’est une semaine qu’elle était Dieu sait… non le diable sait où… Elle est rentrée… non, on l’a retrouvée, sur la place, à
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