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Le spectre de la nouvelle lune

Le spectre de la nouvelle lune

Titel: Le spectre de la nouvelle lune Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Paillet
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vaillante et elle avait du cœur. Son corps était tordu, son visage était laid, mais son âme… car les esclaves ont une âme aussi, n’est-ce pas ?
    — Sans nul doute ! affirma Erwin.
    — … son âme, je crois, était belle…
    Les mots coulaient à présent sans difficulté de la bouche de l’homme.
    — Alors elle était bouleversée, indignée par ce qu’elle voyait autour d’elle, par la façon dont les maîtres traitaient les colons, serviteurs et domestiques, et surtout les esclaves qui, non loin de sa masure, succombaient dans le marécage… La colère grandissait en elle, comme elle aurait dû grandir en moi, si… Elle, oui, elle décida qu’il fallait faire quelque chose pour arrêter cette infamie. Elle résolut de rencontrer le viguier et l’archiprêtre de Mézières pour leur ouvrir les yeux sur ce qui se passait réellement sur le domaine du « button aux fades »… et leur dire qui étaient en vérité Godfrid, Gilbert, ainsi que ceux qui exécutaient leurs ordres.
    — … dont toi-même.
    — … dont moi-même, oui !… Bénédicte, après avoir longuement hésité, finit par se décider.
    — Comment sais-tu cela ? demanda Erwin.
    — Elle me l’a dit.
    — Elle se confiait à toi malgré tes complicités honteuses ?
    — On peut, seigneur, être veule sans pousser la veulerie jusqu’à la délation.
    — Poursuis donc !
    — C’était deux jours avant la Saint-Jean-Baptiste. Elle partit dans la matinée, revêtue de la seule tunique non déchirée qu’elle possédait et qu’elle avait soigneusement lavée. Avait-elle un rendez-vous avec Guntran ? Où ? Comptait-elle se rendre à Mézières pour tenter de le rencontrer ainsi que l’archiprêtre Nodon ? Je ne sais. Elle prit le chemin qui passe entre les marais. Et…
    L’intendant baissa la tête.
    — Elle fut rattrapée et tuée par Godfrid et Gilbert. Les meurtriers placèrent son pauvre corps sur une monture et, arrivés près du marais de Bignotoi, ils le dénudèrent et le jetèrent dans le marécage.
    — Avait-elle eu le temps de rencontrer Guntran ou Nodon ?
    — Nodon, certainement pas. Guntran, je ne le crois pas.
    — Mais cet assassinat… ses circonstances… comment, par tous les saints, peux-tu être au courant ?
    — Godfrid et Gilbert s’en sont vantés, avec de gros rires, un soir, devant moi, alors qu’ils étaient ivres, croyant n’avoir rien à craindre d’un homme aussi corrompu que moi…
    Le Saxon jeta sur Conrad un regard terrible.
    — Est-ce toi qui l’as dénoncée, car il a bien fallu que quelqu’un mette ses assassins au courant ? lui jeta-t-il.
    L’intendant se leva lentement, avec un visage éperdu, livide et tremblant. Il s’appuya des deux mains sur la table et resta ainsi un long moment avant de pouvoir répondre.
    — Pire châtiment que cela… dit-il d’une voix hésitante et à peine audible, non, même aux enfers… Et pourtant… ne l’ai-je pas mérité ?… Mais n’as-tu pas compris, mon père, que j’avais pour elle… je ne sais pas, moi… Je l’estimais… ah ! estimer une esclave… C’était ainsi cependant… Moi ? J’aurais pu la dénoncer ? La trahir ?… Non, je ne répondrai pas à ta question… répondre, ce serait déjà… Mais voilà : c’est fait pourtant… une marque au fer rouge qui me brûlera le temps qui me reste à vivre… Pense et fais de moi ce que tu veux… Rien de pire ne peut…
    L’homme éclata en sanglots.

CHAPITRE IV
    Quand l’intendant eut repris son sang-froid, Erwin ne poursuivit pas son interrogatoire mais ordonna qu’il soit immédiatement reconduit dans sa cellule et placé sous bonne garde ; il précisa qu’on devait surveiller tout ce qui lui serait apporté et goûter sa nourriture.
    — Pourquoi, seigneur ? demanda Timothée. Ne nous a-t-il pas avoué tout ce qu’il savait ?
    — Tout ce qu’il savait ? Peut-être…
    — Dès lors, ceux qui redoutaient ses révélations n’ont plus de raison de s’en prendre à lui.
    — Sauf s’il s’agit toujours de supprimer l’un de ceux qui ont exécuté les basses œuvres de Godfrid, fit remarquer Doremus.
    — S’il s’agissait de cela, n’aurait-il pas été tué en même temps que ses maîtres ? souligna le Grec. Cela n’aurait présenté aucune difficulté pour des bandits si fâcheusement efficaces.
    — Alors, pourquoi ne l’a-t-il pas été ? intervint le Saxon.
    Ses assistants, surpris, l’interrogèrent du regard.
    — Oui, pourquoi ? reprit-il. Nous avons

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