Le spectre de la nouvelle lune
Gilbert, et aussi par toi-même, pesant donc sur tous ceux qui ont perpétré ainsi des forfaits, voire des crimes.
— Je n’ai pas cherché à éluder de telles responsabilités, tu le sais, c’est pourquoi…
— Il ne s’agit pas de cela, intervint sèchement le Saxon, en tout cas pour l’instant ! Je disais donc : peut-être certains, au sein de la famille Godfrid, parmi ses amis, ou ailleurs, ont-ils pensé que tu n’avais pas encore tout dit, que tu étais susceptible de faire d’autres révélations qui les mettraient en cause directement. Le crois-tu ?
— Peut-être…
Le Saxon marqua une courte pause.
— Constituerais-tu pour ceux-là un tel danger, chercherait-on pour cette raison à t’assassiner ?
L’intendant ne répondit pas immédiatement.
— Ce qui m’étonne, dit-il enfin d’une voix hésitante, c’est que l’agression qui me visait soit intervenue si rapidement…
— Oh ! cela n’a rien d’étonnant, affirma le Saxon avec un léger sourire… J’aurais pu me rendre sur le domaine Godfrid en toute discrétion. Je suis arrivé en grand arroi. J’aurais pu recevoir tes confidences en tête à tête. Tout un peuple a pu t’entendre. Nous aurions pu arrêter des dispositions pour que tu gagnes ce monastère de nuit et en secret. Ton transfert sous imposante escorte a bientôt été connu à dix lieues à la ronde. Nous aurions pu confier ta sauvegarde à une cellule bien close et bien gardée. Nous t’avons placé pour la nuit dans cette chambre apparemment, mais en apparence seulement, ouverte à tous les vents.
— Dois-je comprendre… ? bégaya Conrad stupéfait et déconcerté.
— Oui, tu as compris. Dès le début, ceux qui avaient tout à craindre de toi, de ce que tu révélais ou taisais encore, ont su quelle était la teneur de tes premiers aveux et de tes mises en cause, et où l’on t’avait conduit. Ils savaient donc tout ce qu’ils avaient besoin de savoir pour décider s’ils devaient, oui ou non, en finir avec toi, et, si oui, comment. Faut-il conclure ? L’attentat perpétré contre toi a donc fourni la preuve définitive que tu représentais bien un danger pour certains, que ceux-ci le considéraient comme assez pressant pour aller jusqu’au meurtre, qu’ils disposent de complicités nombreuses et étendues et ont pu agir rapidement.
— Un tel risque pour de telles réponses ?
— Tu n’en courais aucun !
— Je ne parle pas de moi, seigneur, mais de ceux-ci qui ont dû faire face à un dangereux forcené…
— Sache que ceux-ci figurent parmi les combattants les plus habiles et courageux de tous les royaumes… et même de toutes les terres sarrasines ! proclama le missus dominicus en se tournant vers ses assistants.
— Quand même… murmura Conrad.
— Quand même, j’ai obtenu la réponse souhaitée ! Si l’on a voulu te tuer, c’est que tu détiens un secret capital. Quel est-il ? Eh bien, je t’écoute !
Comme l’intendant semblait hésiter encore, Erwin enchaîna :
— Peut-être puis-je t’aider. Hier, en avouant tes propres fautes, tu as fait état de l’attitude courageuse adoptée par certains. De qui voulais-tu parler ? Et de quelle attitude ? Face aux méfaits des maîtres, pouvait-on aller jusqu’à protester, jusqu’à refuser d’obéir, jusqu’à se révolter ?
— Résister et même protester, c’était aller au-devant des pires châtiments, s’exposer à subir des tortures jusqu’à la mort !
— Les plus courageux, cependant, l’ont-ils fait ?
— Oui, un bûcheron, un ancien novice, homme de foi et de vaillance. Il a arrêté le fouet de Godfrid au moment où ce dernier allait achever un esclave. Il est mort lui-même, attaché nu à un poteau, roué de coups !
— J’espère que Dieu l’a admis immédiatement à Sa droite, dit l’abbé saxon en prononçant une supplication. Mais, hors cette bravoure extrême, que faire ?
— L’empereur et l’Église ne garantissent-ils pas les droits dont dispose chacun selon son origine et son état, et aussi la sauvegarde des esclaves utiles aux royaumes ? demanda Conrad.
— Si fait.
— Comtes et vicomtes, archevêques et évêques ne représentent-ils pas cet empereur et cette Église en chaque pays ?
— Ils les représentent, confirma Timothée.
— Ainsi que viguiers et archiprêtres ?
— Ainsi que ceux-là !
— C’est ce que pensait Bénédicte… Non, elle n’était pas sotte, ni stupide… Elle savait son alphabet… Elle était
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