Le spectre de la nouvelle lune
fois du côté du Maupas. Depuis, plus rien ! On ne l’a plus revu et aucune nouvelle !
— N’a-t-il rien fait, rien dit avant de disparaître, qui pourrait permettre de retrouver sa trace ?
— A peu près rien, sinon ceci : il revenait bredouille de ses recherches, sombre, d’humeur exécrable. Un jour, cependant, il rentra avec un air plutôt satisfait ; il confia même à un voisin auquel il adressait la parole pour la première fois depuis des semaines : « Je tiens une piste. Ah ! les canailles, ils vont voir ce qu’ils vont voir ! »
— Et c’est tout ?
— Oui, seigneur. Mais cela donne à penser…
— Un guet-apens ?
— C’est ce qui vient tout de suite à l’esprit.
— Par surprise ou autrement, aurait-il été capturé par la bande ?
— Sinon, comment expliquer sa disparition ?
— Peut-être a-t-il été tué pendant ou après sa capture, fit observer le Saxon. Cependant on n’a pas retrouvé de cadavre.
— Non, mon père, aucun corps d’homme ! Mais il existe en ce pays de marécage mille endroits où l’on peut faire disparaître un mort gênant.
Erwin réfléchit un court instant.
— Est-il exclu qu’il ait tout simplement rallié cette bande, ne serait-ce que pour y retrouver Agnès ?
— Encore faudrait-il qu’elle s’y trouve… Et puis, après ce qui s’est passé entre elle et lui… sa jalousie, sa rage, ses fureurs…
Le négociant hocha la tête.
— … sincèrement je ne l’imagine pas ! dit-il.
— Nous voici donc à la fin de ton témoignage. Je puis te dire qu’il a apporté des indications précieuses pour notre enquête, souligna Erwin.
— Crois-moi tout dévoué à notre roi et à ses missionnaires !
Médard prit alors un air embarrassé.
— A propos de cette enquête, puis-je te demander…
— Parle ! Je t’écoute !
— … Sans doute, seigneur, vas-tu t’attacher maintenant à découvrir, poursuivre, combattre et anéantir ces bandits et leurs chefs…
— En effet ! Notre mission rétablira avant longtemps en Brenne, comme elle l’a fait ailleurs, l’ordre et la paix, dans la justice, pour le respect de la Sainte-Trinité et de l’autorité de l’empereur Charlemagne, le Sage et le Victorieux.
— Et que vont alors devenir ceux qui ont semé le désordre et la débauche, la révolte et l’impiété ?
— Ceux qui auront été capturés seront jugés par nous, missionnaires du souverain, en toute équité selon la loi du peuple auquel ils appartiennent ; ils recevront les châtiments que méritent leurs forfaits et leurs crimes, chacun selon la gravité de ses actes !
Le négociant baissa le nez.
— Et Agnès ? demanda-t-il d’une voix à peine audible.
— Elle sera jugée comme les autres et, si elle est reconnue coupable, châtiée de même.
— Ce qui peut vouloir dire…
— Ne me demande pas de me prononcer avant que nos investigations aient fait toute la lumière, d’arrêter la sentence avant un procès qui sera conduit de manière sereine et impartiale, répliqua le missus d’un ton sévère.
— Veuille me pardonner si…
— Tu n’as rien à te faire pardonner, coupa Erwin. Tu te soucies légitimement du sort de ta sœur Agnès. C’est le contraire qui serait surprenant, méprisable et suspect.
L’abbé saxon ajouta en bénissant son interlocuteur :
— Va maintenant, mon fils, va dans la paix du Christ sauveur !
Tandis qu’Erwin gagnait Tours, ses assistants avaient repris leurs investigations. Timothée, lui, se rendit à Méobecq pour s’assurer notamment qu’aucun moine ou serviteur, agresseur éventuel de l’intendant Conrad, ne manquait et demander si l’on avait noté, dans les environs, des absences subites, prolongées et inexplicables. L’abbé Valentin l’accueillit avec un air à la fois satisfait et sarcastique. Il commença par renouveler ses attaques contre le père Ferréol et n’eut pas de mots assez durs pour décrire le monastère de Longoret, « lieu de licence et de gabegie, de fraude et de débauche ».
— Ah ! s’écria-t-il, ce n’est pas ici, en ce couvent, qu’aurait pu se produire un tel scandale : un intendant attaqué en pleine nuit et qui serait passé de vie à trépas sans votre intervention ! Comment ne pas penser à des complicités ?
Timothée qui s’attendait à cette diatribe ne la supporta pas longtemps. Il intervint sèchement pour ramener son interlocuteur à ce qui avait motivé sa venue. L’abbé Valentin offrit alors de produire le
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