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Le spectre de la nouvelle lune

Le spectre de la nouvelle lune

Titel: Le spectre de la nouvelle lune Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Paillet
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scrupuleux, mais aussi coléreux, rudoyât son ami, emporté par ses exigences. Alors, tout à coup, il arrêtait son algarade ; un geste, un sourire disaient son affection et ramenaient la paix.
    Souvent ils réfléchissaient à deux voix sur telle pensée de Sénèque, tel argument de Cicéron, telle saillie d’Horace, ou encore ils tentaient, ensemble, d’approfondir le sens et la portée d’un texte évangélique. C’était, pour Erwin, des moments de bonheur intense au contact d’une pensée profonde et nourrie, d’un homme, orgueilleux certes dans le siècle, mais d’une humilité vraie face aux mystères divins.
    Ce ne fut pas dans ce scriptorium, cependant, qu’Alcuin passa les derniers mois de sa vie mais dans une chambre, allongé sur une couche qu’il ne pouvait plus quitter. Il avait fait aménager cette pièce de manière à pouvoir continuer à travailler, ce qu’il fit jusqu’à son dernier souffle. Quand le Saxon y pénétra, il dut raidir les muscles de son visage pour masquer l’intense émotion qui le saisit.
    D’un côté du lit étaient placés un siège et un pupitre sur lequel se trouvait encore le manuscrit de l’Évangile selon saint Jean qu’il était parvenu à restituer en la version de saint Jérôme. De l’autre côté, plusieurs tabourets avaient été disposés devant une table en face d’écritoires qui portaient des parchemins. Son guide expliqua à Erwin que, de la sorte, un clerc pouvait lire à haute voix à l’intention du théologien, devenu aveugle, le texte sacré ; Alcuin, ensuite, pouvait en dicter la leçon retenue, ou un commentaire, aux scribes qui les notaient. L’abbé saxon s’approcha d’un des parchemins sur lequel avait été reproduit, sous la dictée de l’agonisant, un passage de l’Évangile de Jean. Il lut : « Jésus, à nouveau leur adressa la parole : Je suis la lumière du monde. Celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres ; il aura la lumière qui conduit à la vie . » Et l’aveugle, mourant, avait alors exprimé cette ultime pensée, notée par le scribe : « En serai-je digne, ô seigneur ? »
    Erwin demanda à rester seul dans cette chambre où il s’agenouilla pour prier et se recueillir dans le souvenir de son maître. Il gagna ensuite le réfectoire où la collation du soir avait commencé, accompagnée par la récitation de versets de la première épître de saint Pierre concernant la vie en communauté. Il ne prit pas part au souper : il avait décidé de jeûner pour honorer la mémoire d’Alcuin. Quand le repas fut terminé, il s’entretint avec des moines qui avaient collaboré assidûment avec le théologien et il leur demanda d’évoquer les dernières semaines de son existence, d’en tirer les ultimes enseignements. Puis il confia à Sauvat le soin de préparer les démarches qu’ils devaient entreprendre le lendemain et se retira pour une longue nuit de prières et de méditation.
    A l’aube, après matines, Sauvat vint indiquer à son maître que, la veille, il avait trouvé sans difficulté les chais de Médard, négociant en vin. Comme, en cette fin du mois de septembre, les vendanges étaient en cours, celui-ci parcourait le vignoble, jusqu’à Amboise et au-delà, pour préparer ses futurs achats. Cependant, prévenu par des commis, il ne manquerait pas de se rendre au plus tôt à la convocation du missus dominicus.
    Il se présenta dès la troisième heure du jour à la porte de l’abbaye Saint-Martin et fut aussitôt conduit dans une salle où Erwin le rejoignit. C’était un homme jeune encore, de haute taille et corpulent, à la mine avenante. Impressionné, le négociant s’inclina à plusieurs reprises devant le Saxon en marmonnant, en francique, d’interminables formules de politesse. Erwin s’efforça de le rassurer en lui posant des questions sur son métier, sur la qualité des raisins et celle des vins qu’on pouvait en attendre.
    Puis il en vint à son propos. Il rapporta, en termes posés, les renseignements recueillis sur Agnès, sur le couple qu’elle formait avec Thomas le forgeron, enfin sur les séjours que lui, Médard, avait faits à Mézières et qui avaient donné prise à tant de commérages.
    Le négociant parut frappé de stupeur.
    — Oh ! seigneur, s’écria-t-il, jusqu’où ne va pas la malignité des gens ! Quelles fables, grands dieux ! Et quelles calomnies ! Moi, j’aurais été, au nez et à la barbe de Thomas, l’amant d’Agnès ! Mais

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