Le spectre de la nouvelle lune
enfin ?
— Si tout va comme elle veut, peut-être ce soir. Ma maîtresse est une magicienne très savante et très puissante, répondit le jeune homme sur un ton pénétré.
C’est partagés entre espoir et doute que les deux assistants des missi partirent pour la forêt de Lancosme en compagnie d’Estève, le maître forestier qui était venu à l’abbaye comme ils le lui avaient ordonné. Ils gagnèrent sans difficulté les bords de l’Yoson, qui était à peine plus qu’un ru et qu’on pouvait aisément franchir à gué. En en remontant le cours ils parvinrent jusqu’à la clairière, longue de deux cents pieds environ et large d’une centaine, où le frère Antoine avait été retrouvé. En dehors du chemin qu’ils avaient emprunté en arrivant de l’ouest et qui suivait le ruisseau, deux sentes forestières donnaient sur cet espace : l’une venant de Méobecq sans doute, du sud en tout cas, l’autre du nord, c’est-à-dire de Vendœuvres.
Près de l’emplacement où l’on avait trouvé le corps du moine, le piétinement des chevaux et des hommes avait rendu toute observation difficile et toute conclusion incertaine. Doremus élargit son champ de recherches et il aperçut, sur les sentes forestières, des traces, empreintes faites par des sabots de chevaux. Il les montra à son ami. Elles indiquaient que des cavaliers étaient venus et repartis par ces chemins. Sur la sente du sud, ces empreintes étaient plus nombreuses et plus confuses, mais sur celle du nord, certaines étaient profondément marquées.
L’ancien rebelle fit préciser par Estève qu’avec ses compagnons il était venu et reparti à plusieurs reprises par le sud. Quant au chemin bordant l’Yoson, celui donc qu’avaient suivi les enquêteurs la nuit et eux-mêmes le matin, il ne fournit aucun indice auquel on pût se fier.
Doremus observa longuement le ruisseau, les sentes, la forêt qui cernait la clairière.
— Près d’ici se trouve-t-il une maison, chaumière, masure, une cabane, un abri ? demanda-t-il.
— Rien de tel, affirma le forestier.
— Alors pourquoi diable le frère Antoine serait-il venu se perdre dans un tel endroit ?
Estève réfléchit un instant avant de répondre :
— Peut-être avait-il pris le chemin qui longe l’Yoson afin de regagner Mézières et a-t-il éprouvé par ici les premiers effets des poisons. Il sera tombé de cheval, évanoui…
— Ni le médecin ni Pétronille qui l’ont examiné n’ont fait état de plaies ou contusions provoquées par une chute. Il est vrai que, ressentant les premiers malaises, il a pu mettre pied à terre avant de s’effondrer sans conscience… Mais je n’y crois guère…
— Moi non plus, approuva le Grec. Les traces que nous avons observées conduisent plutôt à penser qu’il a été transporté en travers de la selle d’un cheval alors qu’il était déjà sans connaissance jusqu’à cette clairière pour y être déposé sur le sol… ce qui d’ailleurs soulève quantité de questions : Pourquoi l’a-t-on fait ? Voulait-on qu’il fût découvert ici ? Voulait-on que ce fût par toi-même ou par un de tes compagnons ? Et dans l’affirmative, pourquoi ? Quant à savoir qui l’a empoisonné et dans quelles circonstances, il nous l’apprendra lui-même s’il est sauvé – Dieu le veuille !… Du moins on peut espérer qu’il aura gardé le souvenir de ce qui lui est arrivé…
Doremus parcourut une nouvelle fois les alentours et revint avec un air perplexe.
— C’est égal, dit-il en regardant fixement Estève, il t’a fallu une sacrée chance pour que tu le découvres gisant sur l’herbe de cette clairière… D’ailleurs, je n’ai aperçu aucun abattage ou autres travaux forestiers par ici.
— Nous étions au travail assez loin et nous prenons ordinairement cette sente le long de l’Yoson pour rentrer.
— En fait, où ?
— Notre scierie et notre menuiserie se trouvent à un quart de lieue à l’ouest de Méobecq.
— Non loin de l’abbaye ?
— En effet. C’est nous qui procurons au père Valentin le bois pour la charpente, le chauffage et autres usages.
Les deux assistants, après avoir remercié Estève en lui demandant de se tenir à leur disposition, prirent le chemin du retour. Quand ils furent seuls, le Goupil glissa à Doremus :
— Certes, je n’ai pas encore la configuration de ce pays bien en tête, mais je trouve que ces forestiers ont quand même pris un curieux itinéraire pour regagner les
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