Le spectre de la nouvelle lune
jeune.
La guérisseuse s’enquit d’abord du diagnostic qu’avait formulé le médecin. Puis elle entreprit l’examen de celui qui avait été confié à ses soins. Elle étudia longuement le blanc de ses yeux et leur iris, en faisant approcher puis éloigner de lui des torches ; elle regarda sa bouche, ses lèvres et ses dents, écouta battre son cœur, frappa doucement son front, sa poitrine, ses genoux et ses chevilles avec un petit maillet, palpa plusieurs endroits de son corps y compris sa virilité, et enfin observa les urines qui avaient été conservées. Elle versa entre les lèvres du frère Antoine quelques gouttes d’un liquide en s’efforçant qu’il les boive pour tenter de provoquer des réactions. Elle agit de façon analogue en lui faisant respirer des fumigations. Après quoi, elle se recueillit en marmonnant une sorte de prière.
— Je confirme, dit-elle, que cet homme a absorbé des aliments auxquels avaient été mélangées des poudres néfastes et que surtout il a bu, et en abondance, des breuvages maléfiques. Il est certain que ces boissons contenaient du datura, ce qui explique, au moins en partie, qu’il se trouve toujours en l’état où nous le voyons. J’ai aussi reconnu les effets de l’aconit et de l’absinthe, peut-être également de l’ergot de seigle, mais j’ai surtout aperçu ceux des extraits de chanvre et de pavot. De cela, moi Pétronille, je suis certaine ; sur cela je m’engage.
— Que tu t’engages sur un jugement, soit ! s’écria Doremus. Mais ce qui nous importe, c’est que tu le tires de là ! A cela peux-tu t’engager ?
La guérisseuse regarda fixement son interlocuteur.
— Quand Pétronille s’engage pour juger, elle s’engage aussi à faire tout ce qui est en son pouvoir pour guérir, apprends-le, toi, homme venu de trop loin pour savoir qui je suis ! affirmat-elle.
— Mesures-tu les risques d’une telle promesse ? intervint Farald.
— Oh ! je te connais bien, vicomte ! répliqua-t-elle. Je ne promettrais rien devant un homme tel que toi – tel que toi aussi Guntran – que je ne pourrais tenir ! Vous savez pourtant que la vie de celui qui gît devant nous ne m’appartient pas. Certes, si quelqu’un a une chance de le ramener dans ce monde-ci, nul autre que moi ne pourra le faire. Mais je ne peux rien sans celui qui tient vraiment le destin de cet homme entre ses mains, pour cette vie et pour l’éternité, selon la façon dont il a conduit son existence sur cette terre jusqu’à présent.
Doremus et Timothée frémirent.
— Celui-là est le Tout-Puissant, notre Dieu de miséricorde, n’en doute pas ! dit le Grec.
La magicienne ne répondit rien.
— Quand comptes-tu te mettre à l’œuvre ? demanda l’ancien rebelle.
— Sans perdre un instant ! Apprenez cependant qu’on ne peut faire revenir aisément, ni rapidement, quelqu’un de ce lieu égaré où les maléfices ont jeté votre ami. J’ai dit que je ferais tout pour le sauver. Je le ferai ! Je ne vais plus le quitter dans les heures à venir, aussi longues soient-elles. Qu’on fasse porter ce moine en une salle où nous pourrons demeurer seuls avec lui ! Qu’on y entretienne un feu et qu’on nous procure, à notre demande, ce dont nous aurons besoin pour le guérir, y compris du linge, de l’eau chaude pour laver son corps, et bouillante pour préparer nos remèdes ! J’ai fait transporter sur le bât du mulet qui est resté dans la cour tout ce qui me sera utile. Mon aide m’apportera au fur et à mesure ce que j’emploierai. Que des serviteurs se tiennent constamment à notre disposition. Mais, surtout, qu’on ne nous importune pas ! Toute intervention intempestive pourrait avoir les plus fâcheuses conséquences. Je vous l’ai dit : cela peut prendre du temps, beaucoup de temps. Pas d’impatience !
— Que pouvons-nous donc faire ? s’écria Timothée.
— Vous ? Priez ! répondit-elle.
Au matin, Doremus et Timothée se rendirent devant la salle où la guérisseuse continuait à prodiguer ses soins à leur ami. Il leur en parvint la rumeur d’incantations qui devaient accompagner le traitement. Des senteurs balsamiques s’échappèrent de la pièce quand le jeune serviteur entrouvrit la porte pour indiquer que « tout se jouait en ce moment ».
— Ma maîtresse a bon espoir, ajouta-t-il.
— Mais encore ? demanda Timothée, inquiet.
— Surtout, il ne faut pas la déranger ! Oh ! surtout pas !
— Peux-tu nous dire quand nous saurons
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