Le spectre de la nouvelle lune
lui fit signe de s’asseoir sur sa couche et prit place en face de lui sur un tabouret.
Après des propos destinés à calmer ses appréhensions, il l’interrogea de nouveau, non sur son rôle en tant qu’intendant sur le domaine du « button aux fades », mais sur ce qui avait pu motiver cet attentat perpétré contre lui.
— Seigneur, répondit Conrad, je n’ai cessé d’implorer le Ciel pour le pardon de mes péchés, mais aussi pour obtenir quelque lumière à ce sujet. En vain ! J’ai repassé en ma mémoire tout ce que je savais, en particulier sur les démarches envisagées par la lavandière Bénédicte et sur son assassinat, pour en arriver à la conclusion qu’il n’y avait là rien qui pût expliquer qu’on eût voulu me tuer. Non, rien, vraiment ! Un secret décisif ? Je ne vois pas lequel. Sinon, ne te l’aurais-je pas dévoilé ? Et si, en ces journées de prières, de jeûne et de réflexion, j’avais eu une révélation, ne t’en ferais-je pas part à l’instant ?
— Il se peut, mais voyons, encore une fois, cela de plus près ! proposa Erwin qui reprit, un par un, tous les aspects du témoignage apporté par Conrad.
A l’issue de cette visite, le missus fit renforcer les mesures de surveillance ; instruit par ce qui était arrivé au frère Antoine, il donna les ordres les plus stricts pour que tout ce qui était servi au prisonnier fût goûté et tout ce qui entrait dans sa cellule examiné.
— Tu m’en réponds sur ta vie ! dit-il à l’économe du couvent.
Avec l’abbé Ferréol qui l’avait rejoint, il eut un bref entretien au cours duquel il lui demanda si quelqu’un avait reconnu celui qui avait voulu s’en prendre à Conrad, et dont la dépouille était restée exposée pendant deux jours.
— Hélas, répondit le supérieur du monastère, en dehors du fossoyeur et du viguier, cinq personnes seulement se sont déplacées pour mettre éventuellement un nom sur le visage de ce gredin. Aucune n’a pu le faire. Inconnu de tous.
— Du moins ont-ils déclaré qu’ils ne le connaissaient pas, estima Erwin… Quant à ce serviteur pire que déloyal, ce complice du tueur, un certain Magne, je crois, depuis quand était-il employé ici, et qui l’a fait admettre au scriptorium ? Certaines paroles, certaines attitudes n’auraient-elles pas permis de prévoir sa traîtrise ?
— Je vais faire immédiatement entreprendre une enquête sur tous ces points, s’empressa de répondre le père Ferréol.
— Tu aurais déjà dû le faire ! lâcha le Saxon sur un ton sec en le plantant là.
Après s’être inquiété de nouveau, en fin d’après-midi, de la façon dont évoluait l’état du frère Antoine et avoir obtenu des nouvelles plutôt rassurantes, Erwin convoqua pour une collation tardive le vicomte Farald, le viguier Guntran et l’abbé Ferréol afin de faire le point. Ses assistants et lui-même eurent la surprise de voir arriver au réfectoire où allait être servi le souper, au côté de Farald, cet homme dont ils avaient remarqué l’allure au cours de la réception organisée par le vicomte en l’honneur du missus dominicus, lors du passage de celui-ci à Châteauroux. Farald précisa qu’il s’appelait Raynal et qu’il s’occupait auprès de lui des affaires les plus délicates. Au dernier moment, alors que le premier service allait être apporté, l’archiprêtre Nodon, qu’un messager avait pu avertir, rejoignit les convives.
Le repas se déroula dans une ambiance tendue. En présence du représentant de l’empereur, tous les griefs, tous les litiges vinrent au jour, ceux qui opposaient le vicomté à la viguerie, l’un et l’autre au comté et à l’archevêché, ceux qui dressaient face à face les intérêts du clergé et ceux des autorités laïques, avec des accusations sur la « rapacité du clergé » à quoi l’abbé Ferréol répondit vertement. Le Saxon intervint alors et, avec une froide autorité, ramena le débat à ce qui importait : la situation en Brenne et, en particulier, l’agression singulière dont son assistant avait été victime.
— Nous avons acquis, précisa-t-il, quelques certitudes. L’état dans lequel on l’a retrouvé ne peut s’expliquer que par l’ingestion de substances maléfiques. Il ne s’est sûrement pas empoisonné lui-même, donc on l’a empoisonné. D’autre part, il est douteux qu’il ait perdu connaissance dans cette clairière près de l’Yoson. Tout porte à croire qu’il y a
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