Le spectre de la nouvelle lune
les amis de celui-ci ?
— En effet. Tu es décidément, Pétronille, une…
— Pourquoi pas magicienne, seigneur ? L’art de guérir n’est-il pas magique ?
— En tout cas, avisée et sage.
— Tâche de t’en souvenir, maître, à l’occasion !
— Fais entrer Timothée et Doremus et qu’ils se tiennent à mes côtés !
Peu à peu, cependant, le frère Antoine reprenait ses esprits. Il aperçut Erwin qui s’était approché de sa couche, il eut un mouvement de recul puis il sentit ses mains qui se posaient sur les siennes et entendit ces paroles prononcées calmement :
— Je ne sais quelle vision t’a épouvanté et t’effraye encore… mais, vois, c’est bien moi, ton seigneur, qui te saisis les mains et qui te parle… oui, moi, et non quelque apparition diabolique… Souviens-toi de cette conspiration détestable que nous avons anéantie à Lyon, de la concorde que nous avons rétablie à Auxerre entre des familles ennemies, de cette ambassade en terre sarrasine où tu as montré une vaillance mémorable…
Le moine aperçut alors Timothée et Doremus qui se tenaient non loin du Saxon et qui lui adressaient des propos amicaux et rassurants. Son regard cessa lentement d’exprimer angoisse et égarement, ses traits s’apaisèrent. Il saisit à son tour la main d’Erwin et la serra tandis que les larmes coulaient sur son visage. Puis il parvint à murmurer :
— Que m’est-il donc arrivé ?… Pourquoi suis-je ici… sans force… La tête me tourne encore…
— Nous t’avons retrouvé, étendu sans connaissance, sur l’herbe d’une clairière, dans la forêt de Lancosme, près d’un ru, répondit Doremus.
— Quand ?
— Il y a deux fois douze heures. Mais peut-être te trouvais-tu là depuis la nuit précédente…
— Sans connaissance ?… La forêt de Lancosme… depuis si longtemps.
Le frère Antoine hocha la tête tristement.
— Et moi qui ne me souviens de rien !… il faut… il faut que…
— Il faut que tu te reposes avant tout, dit Erwin, ainsi que Pétronille, qui t’a soigné pendant une journée et deux nuits… Il est minuit passé. Demain, la mémoire te reviendra. Alors nous parlerons de tout cela. Jusqu’au matin, Doremus et Timothée demeureront à tour de rôle auprès de toi pour parer à toute éventualité.
Le moine se laissa aller en arrière sur sa couche avec un soupir et ferma les yeux, semblant apaisé.
Au moment de partir, le missus dominicus prit la magicienne à part :
— Durant toutes ces heures pendant lesquelles tu t’es prodiguée pour sauver frère Antoine, n’as-tu rien remarqué d’anormal ? lui demanda-t-il.
— Que veux-tu dire ?
— Une démarche insolite, quelqu’un offrant ses services de façon inattendue, un serviteur apportant quelque chose que tu n’avais pas réclamé, un moine ou tout autre personnage voulant s’approcher de ton patient sous un prétexte quelconque.
— Et pourquoi cela, seigneur ?
— Ceux qui l’ont empoisonné ont peut-être conservé des complices en ce monastère, et ceux-ci ont pu chercher à achever la sinistre besogne qui n’avait pas été conduite jusqu’à une issue fatale.
— Je n’ai observé rien de tel. Tu as constaté que j’ai pu soigner ton assistant, sans traverse, jusqu’à ce qu’il revienne à lui, vers une guérison que j’espère complète. Donc, je le répète, rien qui puisse donner prise à des soupçons !
— Voilà qui est singulier !
— Comment cela : « singulier » ? Qu’on n’ait pas tenté d’achever celui que je sauvais ? s’indigna la guérisseuse.
— Combien je me réjouis qu’il en soit ainsi, nul besoin de te le dire ! Tout cela n’en reste pas moins incohérent…
Erwin se passa la main sur le front.
— Mais, dis-moi, reprit-il, a-t-on vraiment voulu le tuer ?
— Avec les substances qu’on lui a fait absorber ? Il pouvait en tout cas en mourir… surtout s’il avait été soigné trop tard. Mais pris à temps, comme ce fut le cas, sans doute pas… En rester marqué plus ou moins gravement, cela… D’ailleurs, si on avait voulu le tuer à coup sûr, on aurait employé des poisons – il en existe hélas – qui ne pardonnent pas : immédiats et définitifs !
— De plus en plus étrange… estima Erwin. Mais cela ne retire rien à ton mérite, auquel s’ajoute maintenant celui de la franchise. Savoir qu’on n’a pas voulu forcément mettre mon assistant à mort est pour moi d’un grand intérêt…
Le Saxon marqua une
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