Le spectre de la nouvelle lune
courte pause et ajouta avec un léger sourire :
— Tu m’as demandé, je crois, si je saurais me souvenir… J’ai bonne mémoire, Pétronille, pour le bien comme pour le mal. Je me souviendrai !
Le lendemain, vers la deuxième heure du jour, Erwin se rendit à nouveau dans le valetudinarium improvisé de Pétronille. Il y trouva ses trois assistants attablés devant des écuelles de soupe et des gobelets de vin tonique, ce qui acheva de le rassurer. La guérisseuse et ses aides, qui avaient encore veillé toute la nuit, étaient partis prendre quelque repos.
Le frère Antoine se leva pour accueillir son seigneur avec un visage qui exprimait son contentement.
— Quand tu sauras, maître, ce qui m’est arrivé, car j’ai recouvré la mémoire…
Le moine ne put continuer, submergé par l’émotion. Le missus lui posa la main droite sur l’épaule.
— Et si vous commenciez, dit-il, par me faire une place à cette table ?
Timothée et Doremus, qui s’étaient également levés à son entrée, lui désignèrent un siège sur lequel Erwin s’assit en invitant ses assistants à en faire autant.
— Bien, très bien, oui, voilà qui me plaît, mes enfants ! leur dit-il. Commençons par nous restaurer, puis nous viendrons si tu le peux, frère Antoine, à ton aventure.
— Je le pourrai, je le souhaite, seigneur, répondit ce dernier.
Après quelques propos portant sur la manière dont Pétronille avait pris soin de son patient, le missus dominicus invita le frère Antoine à entreprendre le récit des péripéties qu’il avait vécues.
— Donc, rappela le Saxon, tandis que je me rendais à Tours puis y séjournais, tu as entrepris d’enquêter, ici même, dans l’enceinte de cette abbaye, sur l’attentat perpétré contre l’intendant Conrad et, en particulier, sur les complicités dont le tueur a nécessairement bénéficié.
— Il en fut ainsi, seigneur.
— As-tu alors conçu des soupçons particuliers concernant ce Magne ?
— Il faisait partie d’une dizaine de cas que je me proposais d’examiner de plus près, ultérieurement. Sans plus.
— A-t-il pu savoir que tu pouvais le soupçonner, même vaguement ?
— Je n’en ai évidemment parlé à personne. Je ne vois pas comment il aurait pu l’apprendre.
— En somme, c’est par sa fuite même qu’il s’est dénoncé comme hautement suspect.
— Sans nul doute, seigneur !
Erwin fit une courte pause.
— Tes investigations, entre autres initiatives, te mènent donc aux écuries. C’est ce moment que choisit ce Magne pour y faire irruption, sauter sur une monture et fuir… sous tes yeux. Il aurait pu rester tranquille, ne pas se signaler par cet acte provocateur et, au moins, ne pas le faire sous ton nez…
— Assurément ! Cependant, dès lors qu’il s’enfuyait, n’était-il pas de mon devoir de le prendre en chasse ?
— Autre question… Toujours est-il que tu l’as poursuivi.
— Je croyais avoir affaire à un domestique s’improvisant cavalier et que je rejoindrais aisément. Mais ce Magne s’est révélé comme un maître, j’ai le regret de le dire, et à mon sens bien trop expert pour ne pas être, en réalité, tout autre chose qu’un simple serviteur de scriptorium.
— Revenons à cette poursuite ! Grâce à son effronterie, à son habileté, Magne a pris de l’avance. Il est déjà singulier que tu aies pu trouver sa trace, l’apercevoir sans difficulté.
— J’ai cru à un coup de chance.
— Cependant tu as dû te rendre compte sans tarder que son cheval était plus rapide que ta jument, qu’il en tirait le meilleur parti.
— J’ai pensé que l’endurance de Léonie en viendrait à bout et qu’en prenant des raccourcis je pourrais, à la longue, rattraper le fuyard.
— Des raccourcis dans un marécage qu’il connaît sans doute mieux que toi ?
— Ils m’ont permis de ne jamais le perdre de vue.
— Ou encore il te l’a permis… Car enfin, tu ne peux exclure qu’on t’ait tendu un piège, que tout, depuis le début, y compris aux écuries, ait été monté pour que tu sois conduit… là où finalement tu t’es, en effet, rendu !
— A la réflexion, je dois l’admettre, confessa le frère Antoine.
— Pourrais-tu reconnaître le trajet que vous avez suivi, puis le lieu où tu es arrivé ?
— Ce lieu-là je ne risque pas d’en perdre le souvenir. Mais quant au trajet… Tous ces marais se ressemblent et nous avons fait tant de crochets, de tours et détours… Le temps
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