Le spectre de la nouvelle lune
est en cause… Je t’écoute !
La femme s’était levée et, après avoir longuement hésité, elle affirma, à mi-voix :
— Aucun convoi n’est passé, cette nuit, par mes terres…
— Je te crois. Mais par la route ? Estelle, pour l’amour de Dieu, mesure bien ce qui est en jeu ! Aide-nous !… Aide ceux de ton pays !… Sur le salut de mon âme, je te promets de faire tout ce qui sera en mon pouvoir pour apaiser le courroux de mes maîtres. Et, d’ailleurs, je suis sûr que celui-là même qui est aux mains de ses ravisseurs parviendra, s’il vit, à éviter le pire ! Avec moi donc, fais qu’il vive !
Estelle se mit à genoux et, en larmes, s’écria :
— Que Dieu et tous les saints me viennent en aide… Oh, puis-je te faire confiance ?… Pourquoi le Tout-Puissant a-t-il posé un tel fardeau sur mes épaules ?… Dieu… pouvoir rester fidèle…
— Femme, tu ne trahis personne… Donc ce convoi est bien passé, de nuit, sur le chemin principal ?
Elle approuva de la tête en sanglotant.
— Et vers Saulnay.
— Oui… oui… avoua-t-elle dans un souffle. Et maintenant… je t’en supplie… ne me demande… plus rien !
Le frère Antoine se leva et, d’un geste très lent, avec émotion, il la bénit.
— Que le Seigneur t’accorde la paix de l’âme ! énonça-t-il. Quant à moi, son humble serviteur, je puis t’assurer que tu as agi selon l’honneur et pour le bien des tiens. Que ce secret soit ton réconfort.
Arrivés à Saulnay, les deux assistants des missi s’attablèrent devant une échoppe qui était l’unique commerce du village et tenait lieu de taverne. Ils n’eurent aucune peine à faire témoigner son propriétaire qui, avec force détails et en revenant sans cesse sur les mêmes épisodes, narra comment il avait été réveillé en pleine nuit par le bruit d’une chevauchée, comment il s’était précipité dans la rue mais était arrivé trop tard, comment il était parvenu quand même à discerner quelle direction avaient prise les cavaliers.
— La route du nord ! précisa-t-il avec un air satisfait.
— Le nord ? C’est-à-dire ? demanda Doremus.
— Le plus près, c’est Arpheuilles, à une lieue d’ici. Plus loin, c’est tout le val de l’Indre, de Clion à Buzançais en passant par Saint-Genouph, l’étang Baron…
— Quoi ? Qu’as-tu dit ? Il y a par là un « étang Baron » ?
— Oui, à un peu plus d’une lieue d’ici, tout près de Buzançais.
— Et, d’abord, pourquoi « étang » ? s’enquit le frère Antoine.
— C’est un ancien marais. Il y a de cela bien des années, au début du règne de notre roi Charles, des moines ont fait édifier des digues du côté de l’Indre. Une partie du marais a été transformée ainsi en terres maraîchères et l’autre en réserve poissonneuse.
— Des moines ? Quels moines ? Ceux de Méobecq, ceux de Longoret ?
— Non. Leurs couvents sont trop loin. Peut-être des religieux du val.
— Et plus près ?
— Il y avait bien un prieuré près d’Arpheuilles, des bénédictines paraît-il. Mais voici longtemps qu’il est vide.
— Existe-t-il des grottes, des souterrains non loin d’ici ? intervint l’ancien rebelle.
— Près de l’Indre, un bon nombre… et puis, entre Arpheuilles et Saint-Genouph, une sorte de refuge au lieu dit « Manse-l’Abbé ». Il y a également, dans les environs, les ruines d’une grande villa ancienne, mais alors très ancienne… peut-être avec des souterrains. On n’y va pas volontiers : c’est pourri de vipères, et puis ça a mauvaise réputation.
— Quoi, que veux-tu dire ? s’écria le frère Antoine. Le spectre blanc ? Des débauches nocturnes ?
— Je n’ai jamais rien entendu de tel, dit le tavernier. Simplement que, certaines nuits, des esprits malins s’y rencontrent. Alors, même de jour…
Se rendant compte que le moine allait insister, l’ancien rebelle lui glissa, en francique :
— Si ce bavard savait quelque chose à ce sujet, il nous l’aurait déjà dit ! Inutile d’attirer davantage l’attention sur l’objet de notre enquête.
Il posa deux deniers sur la table.
— Tu nous as beaucoup aidés ! dit-il au tavernier en lui faisant signe de les prendre puis de s’éloigner.
Doremus attendit que celui-ci eût terminé ses remerciements obséquieux et fût rentré dans son échoppe avant de poursuivre :
— Je crois, ami, que nous ne devons pas être loin de notre but.
— Il se peut, grogna le frère Antoine.
—
Weitere Kostenlose Bücher