Le spectre de la nouvelle lune

Antoine. Estelle tint à le mener jusqu’à une pierre levée qui se dressait en plein bois, assez loin de tout rivage.
    A travers des terres maraîchères, ils rejoignirent le marécage pour se diriger, au sud, vers une troisième maison de pêcheur. Comme ils s’en approchaient, ils aperçurent un homme tenant son cheval par la bride et qui discutait avec ses habitants. Le moine reconnut sans peine Doremus. Mettant sa monture au galop, il le rejoignit rapidement, sauta à terre et le serra dans ses bras. Un regard rapide sur l’endroit où il était arrivé lui suffit pour constater qu’il ne lui rappelait rien. Il dit à Estelle qu’il arrêtait là ses recherches. Celle-ci l’invita, ainsi que son compagnon qu’il avait nommé et dont il avait précisé les fonctions, à prendre en sa demeure la collation de la mi-journée. Sur le chemin qui menait à la résidence principale, Doremus mit son ami au courant des informations obtenues par Timothée lors des premiers interrogatoires et des investigations que lui-même avait entreprises.
    — Certes, dit-il, la bande a pu nous lancer sur une fausse piste. Il demeure certain que plusieurs cavaliers et une voiture ont suivi, en pleine nuit, un itinéraire qui, partant de Longoret vers le sud, s’est rapidement orienté vers l’est, est passé au large de Mézières et a croisé, à moins d’une lieue de ce bourg, la route menant à Vendœuvres pour, ensuite, se diriger vers le nord. Malheureusement je me suis égaré dans les marais et j’ai perdu sa trace.
    — Loin de l’endroit où nous nous sommes rencontrés ? demanda le frère Antoine.
    — Depuis l’impasse où je m’étais fourvoyé, j’ai mis environ une heure, d’une marche hasardeuse, pour y parvenir.
    — Donc, à vol d’oiseau, près d’ici.
    — Sans nul doute. En tout cas, à partir du point où j’étais arrivé, trois possibilités : ou bien le convoi a brusquement pris la direction du sud, ou il est parti vers l’est, ou il a continué vers le nord…
    — … auquel cas il a dû passer par ici ou à proximité.
    — Mais peut-être as-tu déjà obtenu de notre hôtesse des indications à ce sujet ?
    Le moine révéla alors, non sans confusion, qu’il s’était rendu, lui aussi, auprès de Timothée et l’avait rejoint au moment où il faisait comparaître la maraîchère devant lui ; il avoua qu’il n’avait eu alors qu’une idée en tête, en menant, seul, son interrogatoire : retrouver le lieu où le simulacre d’Erwin avait été torturé, sous ses yeux.
    — J’ai pensé, ajouta-t-il, que cela nous mettrait sur la piste des ravisseurs.
    — Pourquoi pas, en effet, dit Doremus, conciliant. De toute façon, rien n’est perdu.
    Tandis qu’ils terminaient leur repas fait de poissons grillés aromatisés à l’aneth et de fouaces au cumin accompagnés de cervoise, l’ancien rebelle invita la maîtresse de maison à s’asseoir à leur table, ce qu’elle finit par accepter.
    — Tu n’as pu manquer d’apprendre en attendant d’être interrogée à l’abbaye Saint-Pierre, lui dit Doremus, que l’abbé Erwin, missus dominicus de Charles le Grand, notre souverain, avait été enlevé dans la nuit par des brigands, sans doute des membres de la bande que dirige celui qu’on nomme Baron.
    — Oui, le bruit en circulait parmi ceux qui étaient avec moi.
    — Ai-je besoin de souligner l’extrême gravité de cet acte ?
    Doremus approcha son siège de celui où Estelle était assise.
    — Crois-moi, affirmat-il en la regardant droit dans les yeux, si je te dis que nous voulons éviter à ce pays un désastre ! Pour cela une seule solution : trouver rapidement le lieu où le missionnaire de l’empereur est détenu et le délivrer… avant qu’il ne soit trop tard.
    Le marquis des clairières décrivit alors ses recherches et le lieu où elles l’avaient conduit.
    — J’ai donc acquis la certitude que le convoi est parvenu à peu de distance de ton manse, au sud de celui-ci. Frère Antoine et moi avons de solides raisons de penser que les ravisseurs de notre maître l’ont emmené vers un de leurs repaires, au nord de la Brenne. Si tel est le cas, ils ont pris le chemin qui traverse ton manse ou la route qui passe à proximité. En interrogeant des habitants de Sainte-Gemme, de Saulnay ou de hameaux alentour, nous apprendrions certainement la vérité, comme je l’ai apprise jusqu’ici. Mais le temps presse !… Estelle, je ne t’ai rien caché… Tu sais ce qui