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Le spectre de la nouvelle lune

Le spectre de la nouvelle lune

Titel: Le spectre de la nouvelle lune Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Paillet
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t’intéressent pas, je crois.
    — En effet ! Et, d’autre part, en ce qui concerne cette maison de pêcheur près d’un embarcadère, dont je t’ai parlé ?
    Le moine avait posé cette question sur un ton trop contenu qui alerta Timothée.
    — En général, fit-elle remarquer, ces maisons-là sont à côté de leur embarcadère… Par chez moi il s’en trouve trois mais aucune qui ressemble à ce que tu m’as dit…
    — Aucune vraiment ? lança le frère Antoine en regardant Estelle avec un air furieux. Pourquoi mens-tu ? Pourquoi me caches-tu que dans ton marécage, peut-être même sur ton manse, le spectre blanc organise des fêtes scandaleuses, abominables, impies, que le Baron rassemble par là sa bande, des hommes et des femmes perdus de vices pour des orgies, que cette bande a fait de ce lieu le point de départ de ses sanglants coups de main, qu’il s’y trouve des repaires où elle tient ses prisonniers au secret ?
    La femme blêmit et se mit à trembler.
    — Qui a dit cela, ces horreurs ? balbutia-t-elle. Non, non, ce n’est pas vrai ! Non ! Le spectre, les bandits, les « tapages », la débauche, et cette… prison cachée… Non, jamais, jamais, tu entends ! Jamais, je le jure !
    — Que te coûte de jurer si tu es leur complice, si tu es des leurs ? hurla le frère Antoine. Qui sait si tu ne te précipites pas à ces diableries, si tu n’es pas, toi-même, une stryge ?
    — Quoi ? Moi, une stryge ? Moi ? Elle parut sur le point de défaillir.
    Le Grec avait rapidement compris que le calme apparent de son ami n’était que le masque d’une obsession : parvenir jusqu’à ce lieu où il avait assisté au supplice simulé d’Erwin. Sans doute, en son esprit, en retrouvant cette rive maudite, découvrirait-on la piste qui mènerait là où le Saxon était détenu.
    Timothée allait intervenir pour mettre fin au martyre d’Estelle quand il vit le frère Antoine regarder autour de lui comme s’il s’éveillait d’un cauchemar, tomber à genoux et prier. Quand il se releva, il dit posément à la femme qui était encore tremblante :
    — Mène-moi quand même par là-bas !
    Le Grec pensa un instant reprendre l’interrogatoire sur l’enlèvement, mais il y renonça. La maraîchère n’était plus en état de répondre aux questions ; et surtout il lui apparut que le rétablissement de son ami exigeait qu’il poursuivît sa quête.
    Le frère Antoine pressa le mouvement. Monté sur sa jument, avec Estelle et le domestique qui l’avait accompagnée à dos de mule, il quitta sans tarder l’abbaye Saint-Pierre pour Mézières. A partir de ce bourg ils prirent la route de Sainte-Gemme et, après une lieue, s’engagèrent sur une sente qui menait vers le nord à travers le marécage.
    Le soleil, entre deux passages de nuages, jetait sur les eaux sombres, sur les nénuphars, sur les lenticules, les joncs et les roseaux des lueurs rougeâtres, mystérieuses. Des oiseaux s’envolaient à l’approche des trois intrus ; d’autres interrompaient un instant leur pêche pour observer les arrivants avant de reprendre leur quête. Des anguilles ou des serpents traçaient sur le marais des sinuosités soudaines et vives. Par places, là où la boue donnait au marécage une coloration terreuse, des bulles venaient crever à la surface en dégageant une odeur fétide comme l’exhalaison d’un monstre prêt à jaillir.
    Le frère Antoine frissonna. Il arrêta sa monture pour contempler le marais. Certes, ce paysage avait réveillé ses appréhensions, mais comme adoucies. Tout à coup, il aperçut au loin une forme vague féminine, qui semblait sourire, avec des signes amicaux de sa main diaphane. Loin d’être effrayé, il regarda longuement cette fade bienveillante comme si elle lui signifiait que le marécage voulait se faire pardonner et, après lui avoir infligé le pire, lui offrait à présent le spectacle de sa fécondité, son charme et sa beauté.
    Le moine, guidé par Estelle, arriva à une première maison de pêcheur près de laquelle se trouvait un embarcadère. Il dut constater qu’elle n’offrait aucune ressemblance avec celle à laquelle avait abouti sa poursuite : aucune rive située en face, aucune pierre dressée. Ils ne s’attardèrent pas, traversèrent le hameau qui constituait le centre du manse et se rendirent à l’est à une autre chaumière, adossée à la forêt et située au bord du marais. Elle n’avait rien à voir, non plus, avec les souvenirs du frère

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