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Le spectre de la nouvelle lune

Le spectre de la nouvelle lune

Titel: Le spectre de la nouvelle lune Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Paillet
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victuailles et de boissons avait été disposée sur un grand buffet, en prévision, sans doute, de ce banquet qui n’aurait pas lieu. Les cinq hommes prirent place autour d’une table située au milieu de la pièce et décorée de branches de houx ainsi que de roses tardives. En son centre avaient été posés des compotiers présentant des raisins, des figues et autres fruits secs pour commencer le souper. Des cruches de vin de Loire attendaient les convives ; on n’avait pas oublié pour l’abbé saxon un flacon d’hydromel, effet, à l’évidence, des recommandations pressantes de Sturbius.
    Erwin écourta les formules de politesse et propos convenus. Tandis que les domestiques apportaient comme premier service un porcelet farci de petits oiseaux et de saucisses, accompagné de fèves au lait miellé et de pâtés d’anguille, il s’adressa au vicomte Farald en francique :
    — Nous viendrons tout à l’heure, dit-il, aux investigation que tu n’as pas manqué d’entreprendre. Je veux tout d’abord que tu me parles de ce pays où se sont produits tant d’événements scandaleux, où nous nous rendons pour enquêter, mettre au jour la vérité et juger, de la Brenne donc.
    — Comment cela, seigneur ?
    — Oui, que tu me parles de la contrée elle-même, de ses richesses, de ses habitants… et, avant tout, que tu me dises ce que tu en penses, comme cela te viendra à l’esprit.
    Le vicomte s’accorda un court instant de réflexion.
    — Eh bien, seigneur, commença-t-il avec application, d’abord c’est tout de même à une journée d’ici et très différent des environs de Châteauroux, ou encore des vallées des rivières. La Brenne s’étend sur à peu près sept lieues du nord au sud, et autant d’est en ouest. Le bourg le plus important est Mézières. C’est là qu’est situé le siège de la viguerie et qu’officie le père Nodon à la tête de l’archiprêtré regroupant les paroisses du nord de la Brenne, lesquelles sont loin d’être toutes pourvues de curé. Plus important : à Méobecq, à l’est, et à Longoret, à l’ouest, se trouvent deux abbayes, dédiées l’une et l’autre à saint Pierre et fondées il y a deux siècles par saint Siran. On peut y ajouter un couvent de religieuses, le monastère Sainte-Radegonde, qui, je crois, n’abrite plus de nonnes… Il avait fâcheuse réputation. En dehors de Mézières, les marchés importants, ceux où l’on peut prélever des tonlieux, et ce n’est pas de tout repos, sont Vendœuvres, Migné, Rosnay, Douadic, et encore…
    — Tout cela est fort intéressant, coupa le Saxon. Cependant, avant que nous n’arrivions dans la capitale du Berry, et à Bourges même, on nous a dépeint la Brenne comme un pays étrange, mystérieux, incompréhensible par bien des côtés… Ce que j’aimerais savoir, c’est ce que tu en penses, toi qui le connais pour l’avoir parcouru, et, surtout, qui en as la charge.
    — Un pays étrange, dangereux aussi… assurément, seigneur, avec ces marais qui en occupent la moitié : où finit la terre, où commence le marécage, qui peut le dire ? Au milieu de ces eaux troubles, parfois assez profondes, parfois très peu, des sortes d’îles naissent et disparaissent. Quant aux chemins, ils changent tout le temps ; seuls les gens de là-bas peuvent s’y reconnaître. Oui, rien de plus dangereux que ces marais putrides avec ces tapis de plantes qui cachent des trous d’eau, des boues où l’on est englué, des fonds mouvants qui aspirent dans la vase ceux qui ont eu le malheur de s’y fier… cette vase qui engendre, ainsi que chacun sait, des bêtes répugnantes comme crapauds et serpents, scolopendres et araignées… Pour moi, d’ailleurs, elle est fécondée par des esprits infernaux qui s’incarnent dans ces bêtes pustuleuses et venimeuses… Dès le printemps on voit distinctement, m’a-t-on dit, le travail de cette boue en gésine, avec des bulles qui viennent crever à la surface, et d’où s’échappent des vapeurs fétides. Quant à ceux qui vivent là… on a dû t’en parler, seigneur.
    Le vicomte baissa la voix et regarda si les domestiques s’étaient suffisamment éloignés avant de poursuivre :
    — Il ne s’agit pas de ces familles de chez nous auxquelles des domaines ont été confiés en récompense de leur courage, de leur dévouement et de leur loyauté… non, mais de gens d’ici… Paresseux, dissimulés, oui, sournois, voilà comment ils sont. S’ils

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