Le spectre de la nouvelle lune
assistants, se précipita vers le prieuré, avec une forte escorte. Le frère Antoine, dont la jument galopait à hauteur de la monture du comte, montra à celui-ci, en passant, le cadavre d’un homme revêtu d’une tunique noir et rouge, dont on pouvait voir la face, car il gisait sur le dos, sans capuche.
— Flaiel ! s’écria le moine.
— Que dis-tu ? demanda Childebrand sans ralentir son allure.
— Flaiel, l’âme damnée du Baron !
— A quoi as-tu vu cela ?
— A sa tunique. Je ne risque pas de l’oublier.
— L’as-tu reconnu ?
— Non ! Je ne l’ai jamais vu auparavant !
Le comte éperonna son cheval.
— Plus tard ! lança-t-il… Nous verrons cela. D’abord Erwin ! Vite ! Plus vite !
La troupe arriva bientôt devant la porte principale du couvent qui était grande ouverte. A la gauche du chemin qui y menait étaient agenouillés des hommes sans armes, pauvrement vêtus, qui lancèrent en direction des arrivants des supplications, en tendant les mains vers eux et en gémissant, pour demander merci. A droite, des femmes en pleurs, à genoux également, portant des enfants dans les bras et en maintenant d’autres à leurs côtés, car l’arrivée des cavaliers les avait épouvantés, firent entendre une longue lamentation et un bourdonnement de prières avec des gestes et des visages qui exprimaient leur frayeur, leur douleur et leur soumission. Seule, l’une d’entre elles était demeurée debout en une attitude résolue et fière. Elle tendit au comte un parchemin que celui-ci ne prit pas. Timothée s’en saisit.
Sans perdre un instant, Childebrand et ses assistants mirent pied à terre. Après que le missus eut confié à Hermant la surveillance des suppliants, ils pénétrèrent immédiatement à grandes enjambées dans le prieuré, accompagnés par une demi-douzaine de gardes. Dans le vestibule les attendait un homme, seul, sans arme, immobile, impavide. Le comte, dont la colère était toujours aussi vive, s’apprêtait à le pourfendre quand Doremus lui cria :
— Non, je te prie, seigneur ! Celui-ci je le connais. Il va nous aider.
Tandis que Childebrand abaissait son arme, l’ancien rebelle lança à l’homme qui n’avait pas fait un mouvement :
— Rafanel, guide-nous ! Va !
Le comte et les membres de son escorte, glaive en main, traversèrent des salles désertes, propres et en ordre. Les occupants avaient été tenus d’observer, de toute évidence, une discipline plus rigoureuse qu’on ne l’aurait attendue de bandits. Des aménagements avaient même été apportés pour pallier, tant bien que mal, le délabrement de ce prieuré désaffecté. Les Francs, à la suite du sabotier, parvinrent jusqu’à une annexe, sans doute l’ancien logis du prieur. La porte en était ouverte. Rafanel fit un geste.
— Ici ! dit-il sans autre explication.
Childebrand, qui ne parvenait pas à cacher son anxiété, lança des ordres en francique. Sauvat ceintura Rafanel qui n’opposa aucune résistance. Le comte, pour peu probable que cela parût, ne pouvait exclure que le sabotier les eût conduits vers un piège. Timothée se plaça à droite de l’entrée, Doremus à gauche. Childebrand, immédiatement suivi par le frère Antoine prêt à utiliser ses couteaux, entra dans la pièce. Erwin se tenait debout, arme à la main, attentif, derrière une table sur laquelle était ouvert un manuscrit. La manche gauche de sa tunique était couverte de sang coagulé. Non loin de lui gisaient deux hommes, apparemment sans vie. L’un était vêtu d’une tunique rouge et son visage était masqué par une capuche vermillon ; l’autre portait une vêture noir et rouge.
Quand il aperçut son ami, le Saxon lui adressa un sourire qu’il nuança d’une légère ironie pour dissimuler sa profonde émotion. Le comte, avec un air radieux, se précipita vers lui pour une accolade.
— Dieu bon, s’écria-t-il, tu es vivant !
— Doucement, lui dit Erwin, l’un de ces drôles m’a quand même fait une belle entaille.
— Nous allons faire soigner cela tout de suite. Sauvat, trouve-nous quelqu’un qui se connaisse en soins et vulnéraires et ramène-le avec tout ce qu’il faut ! Il me semble d’ailleurs qu’il pourra aussi s’occuper de toi.
— Et fais également apporter une légère collation ! ajouta le Saxon. Nous en avons tous besoin !
Timothée, Doremus et deux gardes étaient entrés sur les talons du frère Antoine. Dès qu’ils aperçurent le Saxon, debout, souriant,
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