Le talisman Cathare
La cinquantaine d’individus qui constituait la garnison du château progressait lentement. Il fallait emporter à dos d’homme, enfermée dans de grands sacs, toute la richesse de la forteresse : armes,vivres, parchemins. Certains furent pris de malaise, tant l’angoisse régnait dans le souterrain.
« Il faut parfois plonger au plus profond de la matière pour s’en libérer », murmura Alix, comme si elle craignait que le choc des mots ne fasse s’ébouler sur eux le rocher. Sa philosophie ne fit pas recette. Tous se sentaient enfermés dans un tombeau et, l’imagination faisant des ravages, se voyaient errer dans le noir jusqu’à ce que la mort les prenne, épuisés de faim, ou perdus de folie.
« Il n’y a qu’un chemin, on ne peut s’égarer », dit le chevalier, mais ses paroles, qui se voulaient rassurantes, n’eurent guère d’effet. Il hésita avant d’ajouter : « Nous passons sous le fleuve. »
Ses mots glacèrent de terreur son entourage à l’idée des tonnes d’eau au-dessus de leurs têtes.
Ils entreprirent ensuite la pénible ascension d’un second escalier tout aussi escarpé que le premier. Certains défaillirent de fatigue. Enfin, une lourde porte en bois leur barra le passage. Bernard l’ouvrit grâce à un habile système de contrepoids dissimulé dans la paroi. Derrière le battant, aussi lumineux que le soleil, après ces heures passées dans la pénombre, Gaillard de Beynac les attendait, un large sourire éclairant son visage barbu.
« Bienvenue dans la première baronnie du Périgord ! Mon château est désormais le vôtre.
— Nous n’allons pas nous attarder, dit Bernard en serrant son ami dans ses bras. Ta forteresse pourrait, elle aussi, devenir un piège mortel. Nous allons dès aujourd’hui tracer la route. Mais nous devons, auparavant, détruire notre oeuvre, afin que nos ennemis ne puissent suivre nos pas. »
Gaillard de Beynac envoya ses gens ouvrir les vannes situées au pied du long escalier. Les eaux de la Dordogne s’engouffrèrent dans le souterrain.
« Messire de Montfort, voilà près de six heures qu’ils n’ont pas tiré le moindre trait ! » Le soldat revenait du pied des murailles, tout heureux de s’en être sorti à si bon compte.
« Pourtant, on voit encore la silhouette des gardes entre les créneaux. Ces maudits cathares nous tendent une embuscade. »
Montfort marchait de long en large, comme un fauve en cage. Sa raison lui dictait la prudence, mais son instinct puissant lui disait qu’il y avait anguille sous roche. Il huma l’air, bruyamment, tel un loup qui cherche sa proie, soupçonnant une supercherie. Une lueur étrange, comme un éclair de folie, traversa son regard.
« Aux échelles ! Donnez l’assaut, immédiatement.
— Mais, messire, ils vont nous massacrer !
— J’ai dit : à l’attaque. Et je perce de mon épée le premier qui recule. Hardi, croisés ! Le pardon de vos fautes est au bout de vos glaives. »
Il empoigna lui-même un lourd échalier de chêne et s’élança le long du rempart. Les hommes le suivirent sans discuter plus avant. Les échelles furent jetées contre l’enceinte et tous entreprirent l’ascension, l’épée au poing, à l’abri derrière un grand bouclier. Pas une flèche ne fut expédiée sur les attaquants. Le sommet des murailles n’était garni que de mannequins.
« Cazenac ! Tu ne pourras m’échapper éternellement. Je jure de te brûler moi-même. » La fureur du comte s’était portée sur les appartements privés, dont les meubles avaient été dévastés. Les armes des Cazenac furent brisées à coup de hache et martelées sur les plafonds.
« Où est-il, maintenant ? Nous tenons toutes ses places. Comment le retrouver dans ce vaste pays aux forêts touffues, puisqu’il refuse de m’affronter ? »
Du sommet du donjon, l’abbé de Sarlat pointa un doigt accusateur sur le château de Beynac, de l’autre côté de l’eau. « L’arche de Satan », murmura-t-il.
1 Machine de guerre mobile qui permet d’approcher des remparts et d’abriter les sapeurs.
15
Contrairement à Domme et Montfort, Simon ne prit pas le temps de raser Castelnaud. Une place aussi sûre et bien protégée, tombée intacte entre ses mains, méritait un sort plus enviable. D’autre part, il avait hâte de poursuivre la traque du chef cathare et n’entendait pas attendre l’arrivée de maçons et charpentiers aptes à démanteler la forteresse. Il plaça à la tête de
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