Le talisman Cathare
fait serment de vous ramener à la vraie foi, non pas celle qui gémit sous la menace du bûcher, mais celle qui vient directement du coeur ? »
Augustin pouvait se prévaloir d’une première victoire. Bernard avait renoncé à massacrer et mutiler les catholiques qui croisaient sa route, admettant l’innocence foncière des gens du peuple. Il réservait sa haine pour les croisés et les inquisiteurs. Le moine allait de ville en ville, glanant des nouvelles du monde en guerre, cherchant à prévenir les menaces qui pesaient sur la minuscule communauté où il vivait. Il avait appris à aimer ces cathares austères, mais à l’honnêteté bien tranchée. Un jour, Bernard le vit rentrer dans l’atelier communautaire, le visage blême et bouleversé.
« Qu’y a-t-il, mon bon Augustin ? »
L’homme pouvait à peine parler. Ses jambes tremblaient si fort qu’il dut s’asseoir avant de prendre la parole.
« On commence à arrêter les partisans de mon maître, les béguins franciscains.
— Que peut-on reprocher à ces pacifiques et humbles moines ?
— Ils affirment que Notre-Seigneur Jésus n’était pas propriétaire de la tunique qu’il portait. Que l’Église doit vivre à son image et partager ses biens avec les pauvres. Ah, mon Dieu !
— Mais que se passe-t-il ?
— Ils ont brûlé deux de mes frères en Lombardie, pour hérésie. Ils nous considèrent comme des cathares ! Je crois que la catholicité tient plus à ses richesses qu’à son honneur et à sa vertu. A-t-elle oublié que l’orgueil est le premier des péchés, celui qui engendre tous les autres ?
— Vous comprenez, à présent, ce que signifie notre vie, traqué, rejeté, méprisé. C’est vous qui allez vous faire Parfait mon bon Augustin.
— Que nenni ! Jamais je ne renierai ma foi, et, s’il le faut, contre la puissance temporelle de Rome. On ne peut servir deux maîtres à la fois : Dieu et l’Église.
— Vous confondez le pape et César », plaisanta le sire de Cazenac, ému malgré tout par le désarroi du moine.
Bernard avait laissé pousser ses cheveux et sa barbe, et s’habillait de sombre, à la manière des Parfaits. Pour voyager discrètement, fuir l’enfermement d’Aillac et recruter des partisans pour la revanche, il s’enveloppait d’un grand manteau à capuchon qui le recouvrait entièrement. La situation ne lui paraissait pas désespérée ; à l’image du catharisme, il pensait qu’une guerre perdue pouvait se réincarner dans la victoire. Sa grande silhouette fantomatique parcourait les chemins creux du Périgord. Peut-être fuyait-il aussi l’image de son épouse.
Alix s’était enfermée dans la communauté des femmes d’Aillac, où elle cardait et filait la laine. Toujours habillée de noir, sans que l’on sache si elle portait le deuil de sa fille ou marquait ainsi son adhésion au catharisme, elle dissimulait soigneusement sous un foulard sa longue chevelure brune et portait des robes amples qui cachaient les appas de son corps charmant, un corps qu’elle refusait au désir de son époux.
« Ma mie, tu n’es point religieuse. Nous devons nous comporter comme mari et femme. N’oublie pas que je connais tous les plaisirs et les désirs que dissimule chaque parcelle de ta peau. Tu ne peux vivre ainsi en recluse.
— C’est toi qui parles ainsi, mon ami, toi qui es fils, petit-fils et arrière-petit-fils de cathare ? Ne vois-tu pas que j’aspire de toutes mes forces à quitter pour toujours cette vallée de larmes ?
— As-tu oublié notre amour, et la joie de nos coeurs, et les plaisirs jamais assouvis de nos chairs ?
— C’était dans une autre vie. J’ai toujours de l’amour pour toi, mon beau seigneur, mais je ne peux plus l’exprimer que par mon âme.
— Où est l’heureux temps des troubadours et de la fine amor ?
— Ce monde est mort. L’âme de la terre s’est réincarnée dans une autre époque, plus sombre et dégénérée. Ces épreuves doivent nous conforter. »
Bernard savait que les mots d’Alix ne cachaient que sa souffrance. Quand elle quittait la communauté, c’était pour se rendre dans quelque hameau, quelque ferme isolée, où elle avait appris une naissance. Elle se penchait sur le nouveau-né, le scrutait avec une attention telle qu’elle en effrayait les parents, dans le fol espoir de reconnaître la réincarnation de Blanche.
À l’image de son ami Augustin, le chevalier avait appris à calmer son indomptable
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