Le talisman Cathare
pouvait supporter d’être laissé ainsi sans protection, aussi dénudé qu’un nouveau-né, les murailles et le donjon de Beynac furent abattus.
Bien que son principal ennemi lui eût échappé, Montfort considérait la campagne du Périgord comme achevée. Les hérétiques n’avaient plus un seul rempart pour s’abriter. Avant de quitter la région, il prononça solennellement la destitution de Bernard de Cazenac, la confiscation de ses places de Castelnaud, Domme et Montfort, et de tous biens, meubles et immeubles, officiellement confiés à Jehan de Turenne. Il le déclara chevalier faidit, de par les graves et énormes délits commis envers Dieu et la sainte Église. Enfin l’immense armée s’ébranla vers le sud, faisant résonner sous ses pas la terre conquise.
16
Périgord, 1215.
Haut perché sur la Dordogne, le minuscule castel d’Aillac abritait désormais une communauté cathare, ou plutôt deux communautés, car il avait fallu séparer les hommes et les femmes. Tous y vivaient dans l’apparente simplicité des Parfaits, y compris Bernard et Alix qui y avaient trouvé refuge. Bernard avait laissé la direction des opérations à Hugues de Vassal, fils majeur de l’évêque cathare d’Agen. Que pouvait-il faire, lui, un chef militaire, dans un manoir indéfendable ?
« Il est bien étrange que ton misérable frère ne soit pas déjà venu nous déloger. N’a-t-il pas la garde de tous nos biens ?
— Il est mon frère, tout de même ! Peut-être a-t-il conservé quelque respect pour sa soeur ? » répondit Alix.
Dans sa place forte du Haut Quercy, à dix lieues de là, Jehan de Turenne se morfondait. L’humiliante condition où l’avait laissé Simon de Montfort donnait un goût amer à sa victoire. Alors que son père avait été le principal soutien du comte Raymond VI, lui était manipulé comme un simple pion par le nouveau maître de la cité rose. Aussi dans le secret de son coeur admirait-il son beau-frère, cet insoumis qui défendait une cause perdue. La honte se marquait également sur son front. Jamais il n’avait voulu la mort de Blanche, sa nièce. Il l’avait souhaitée comme monnaie d’échange pour s’emparer sans dommage des places fortes sur le fleuve. Raisonnement de boutiquier ! Le barbare français ne faisait pas de quartier, même aux enfants. Son confesseur avait absout son péché, mais si Bernard apprenait son forfait, il ne donnait pas cher de sa vie. Il le savait : il n’aurait pas assez de toute son existence pour expier son crime. Aussi dissimulait-il soigneusement aux agents de l’évêque que sa soeur et son beau-frère vivaient au village comme d’humbles paysans.
Aillac s’organisait comme un microcosme économique, car il fallait bien vivre. Le Périgord était devenu une terre gaste, ruinée par le passage de la croisade. Les récoltes piétinées annonçaient la famine. Le catharisme souhaitait que chacun, noble, religieux ou simple gueux, vive de son travail. Les Parfaits, à la différence du clergé catholique, gagnaient leur vie à la sueur de leur front. Le métier de paysan y était peu à l’honneur : la terre n’était-elle pas l’oeuvre de Satan ? Et puis, elle était impossible à transporter pour ces éternels fuyards. À l’instar des juifs,ils exerçaient donc des métiers praticables en tout lieu, adaptés à une vie errante, qu’ils savaient ennoblir en les associant à la prière. Ils ne pratiquaient pas non plus l’élevage, l’abattage des animaux leur étant une horreur insurmontable. Ils consommaient toutefois les bêtes à sang froid. Aussi les pêcheries d’Aillac étaient-elles actives et approvisionnaient-elles les marchés des environs.
Hugues de Vassal avait également établi plusieurs ateliers de tissage, métier emblématique des cathares, que l’on nommait parfois « tisserands ». N’était-ce pas la profession de saint Paul ? Les croyants et les sympathisants de leur cause apportaient à Aillac la laine et le chanvre que des doigts habiles transformaient en fil et en toile, discrètement revendus sur les marchés de Sarlat, Périgueux, Brive ou Cahors, au nez et à la barbe des sergents de l’évêque.
Le moine Augustin était le plus efficace des agents de liaison. Il avait refusé de recouvrer sa liberté, lorsque Bernard lui avait proposé de rester à Beynac. Sa robe de bure lui servait de passe-partout.
« Ne suis-je pas votre prisonnier fidèle, messire chevalier ? N’ai-je pas
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