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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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Boniface.
    Hermance Guérin fronça les sourcils, pinça les lèvres. Son expression demeurait glacée.
    — Madame Guérin, c’est le père Boniface qui nous envoie, il a mentionné un journal intime. Je vous en prie, c’est important. Je vous affirme que ni vous ni votre fille ne serez impliquées. S’il vous plaît, ouvrez-nous.
    — Donnez-moi une bonne raison pour que je vous accorde ma confiance, marmonna-t-elle.
    — Voici une lettre de maître Masson, et une autre du père Boniface, son écriture vous est familière… La police ne possède pas la moindre preuve matérielle à son encontre, rien que des présomptions. Son unique tort est d’avoir reconnu être l’auteur des meurtres de Richard Gaétan et d’Absalon Thomassin. Ses aveux ont été spontanés. J’ai pu lui parler, il tient à ce que son procès ait lieu.
    — Que risque-t-il ?
    — Étant donné les circonstances, le jury se montrera probablement enclin à la clémence. Vous ne serez pas citée à comparaître, pas plus que votre fille. Vos noms ne seront jamais prononcés, maître Masson évitera toute confrontation avec vous, nous sommes ses intermédiaires et nous vous garantissons sur l’honneur que vos révélations anonymes ne pourront que servir le père Boniface.
    Hermance Guérin les dévisagea un instant sans paraître émue. Elle referma la fenêtre. La porte d’entrée joua sur ses gonds.
    Ils pénétrèrent dans un petit salon où le tic-tac d’une pendule de marbre posée sur un piano droit insufflait une note de vie au décor banal. Hermance Guérin leur désigna une bergère et prit place à l’extrême bord d’un fauteuil crapaud.
    — Tout de même, murmura-t-elle en manipulant les deux lettres, un malade qui demande à entrer à l’hôpital, c’est mauvais signe.
    — Ne soyez pas pessimiste, madame. Racontez-nous.
    — Ça vous intéresse, l’histoire de ma vie ?
    Brusquement, les souvenirs l’assaillaient. Elle avait dix-sept ans, elle était naïve, enthousiaste. Machinalement, elle saisit son tricot et entama le va-et-vient des aiguilles.
    — J’ai très peu connu mon père, il est mort lorsque j’avais huit ans, ma mère a eu la charge de cinq enfants. J’ai été engagée vendeuse par Marcel Guérin, confiseur au Quartier latin, un ami de papa. Il possédait une seconde boutique rue des Vinaigriers. Quand on est jeune, on ne renâcle pas à la tâche et on entend aussi s’amuser. Nous étions une bande de camarades, on se retrouvait le soir. J’ai rencontré Julien Collet, un beau garçon de vingt ans. Son meilleur copain, c’était Sylvain Bricart, lui, il était employé rue des Vinaigriers, il me courtisait, mais je lui préférais Julien. Julien voulait faire médecine, seulement, comme il était fauché, il étudiait la nuit dans des bouquins. Le jour, il travaillait chez un souffleur de verre. Fin 1869, on s’est mis en ménage. Je suis tombée enceinte. Sophie est née quelques jours après la déclaration de guerre avec la Prusse. Julien s’est engagé…
    Le tricot ressemblait à une vieille guenille dont les manches s’effilochaient.
    — Je n’ai reçu qu’une lettre de lui, juste avant que l’empereur capitule. Je me suis languie un an, deux ans. Il avait disparu. Alors quand Marcel Guérin m’a proposé le mariage, j’ai cédé. Il m’a permis de garder Sophie avec nous, mais il a refusé de la légitimer parce qu’il espérait avoir des héritiers de son sang. En mars 73, il a été victime d’une crise d’apoplexie, et je suis devenue veuve avec des créances jusqu’au cou. J’ai dû vendre l’appartement et la boutique du Quartier latin, il m’a fallu hypothéquer le magasin de la rue des Vinaigriers. C’est Sylvain Bricart qui m’a tirée d’affaire. Il nous a déniché un petit logement passage Dubail. Je n’étais pas amoureuse de lui, j’avais juste besoin de protection et d’un peu de tendresse. Je n’avais pas réussi à faire mon deuil de Julien, j’espérais. Lorsqu’on n’a aucune preuve d’un décès, on rêve d’un miracle.
    Le tricot s’anima comme un chat qui s’éveille et s’étire, les aiguilles s’activèrent avec fébrilité.
    — Sophie a eu douze ans, il était temps qu’elle reçoive une éducation sérieuse. Je l’ai placée dans un couvent, à Épernon. Un de mes frères est établi là-bas. Ça me faisait du chagrin de me séparer d’elle. À force d’économies, j’ai réussi à acheter la maison de jardin de

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