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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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la rue Albouy. Un matin, j’ai reçu une lettre où il était question de Julien. J’ai cru à une mauvaise plaisanterie, mais je suis allée au rendez-vous qu’on m’avait fixé. Là m’attendait un homme que je n’ai pas aussitôt identifié tellement il avait changé. Il portait une soutane, comme les pères blancs. Il avait de l’embonpoint. C’était mon Julien. Il m’a dit qu’il avait longtemps balancé avant de me contacter, parce qu’il redoutait de bouleverser mon existence et celle de notre fille. Il était devant moi, treize ans après ! Et tout a resurgi, la complicité, le désir… Il avait déserté, il était descendu vers le sud, à Marseille il avait embarqué cuistot sur un chalutier. Il a rallié l’Algérie. Il y est resté un an à exercer tous les métiers. Il n’avait qu’une idée, retourner à Paris et me retrouver. Mais après la Commune et tout ce qui s’est ensuivi, c’était trop dangereux de se montrer en France. Il a pris peur et il s’est enfoncé dans le bled. Il a croisé un père blanc en route pour une mission dans le désert, ils ont fait un bout de chemin ensemble. Le père blanc – il s’appelait Henri Boniface – a été mordu par un serpent. Julien a tout tenté pour le sauver, en vain. Le père Boniface est mort. Alors, mon Julien, ça lui est venu comme ça, il allait prendre sa soutane et devenir quelqu’un d’autre. Personne ne le lui reprocherait, puisque le père Boniface n’avait pas de famille.
    Hermance Guérin souleva son tricot et l’agita devant elle comme s’il s’agissait d’une marionnette, puis l’aplatit sur ses genoux.
    — Quand Julien a atteint la mission, il n’y avait plus que des esclaves noirs réfugiés là à cause des razzias. Il est resté avec eux, il a construit une infirmerie. Un jour, bien plus tard, des soldats français ont débarqué. C’est ainsi qu’il a su, à propos de l’amnistie. Il a décidé de regagner la France, il voulait voir sa fille sans qu’elle le sache. Il s’est installé à « la Monjol », où personne ne s’inquiète de personne. Il s’est dévoué aux pauvres et aux gamins. On se voyait chez lui. Bricart m’a quittée, était-il jaloux ou en avait-il soupé de la vie à deux, je l’ignore.
    Le tricot glissa au sol, elle ne le ramassa pas.
    — Lors du jugement de Sophie et de sa copine Loulou en 91, Julien, enfin le père Boniface, a témoigné. Sylvain ne s’est pas douté que c’était Julien, et Sophie n’a jamais su que ce prêtre était son père. Durant sa maladie, à son arrivée d’Amérique, c’est lui qui l’a soignée. Il s’habillait en civil pour venir l’ausculter. Quand j’ai lu le journal intime de ma petite dans le cahier bleu, je me suis affolée, j’en ai parlé à Julien qui à son tour en a pris connaissance. Il m’a dit que c’étaient des enfantillages, qu’il allait veiller de près à ce qu’elle ne commette pas de bêtises. Seulement, Sophie et Loulou ont été plus rapides et…
    — Ce cahier, vous l’avez toujours ?
    — Pourquoi vous le remettrais-je ?
    Victor afficha l’indifférence. Fasciné par les motifs de la carpette, Joseph se courbait vers le sol.
    — Il y a un certain personnage qui rôde autour de Sophie et de vous, madame Guérin, il boite, souffla Victor. Quel est son rôle ? A-t-il lui aussi feuilleté ce cahier ?
    Il décela une brève étincelle dans les pupilles bleu porcelaine. Elle répondit d’une voix lasse.
    — C’est fort probable, sinon comment élucider son acharnement à épier Sophie ? Il lui a sauvé la vie, apparemment.
    — Puis-je consulter ce cahier ? Tout est parti de là, n’est-ce pas ? Il faut le détruire, mais auparavant, si vous l’autorisez, j’aimerais y jeter un coup d’œil.
    — C’est un document privé.
    — Madame, je me sens responsable, pire : coupable. Rien ne vous oblige à me le montrer, vous pouvez le brûler sous nos yeux, toutefois je déplorerais d’ignorer une partie de la vérité, puisque c’est moi qui ai tout mis en branle par maladresse.
    Hermance Guérin eut une mimique narquoise. Elle se leva, retroussa ses jupes, et, avec une agilité surprenante, grimpa sur une chaise, fourgonna en haut d’un buffet, s’empara d’un cahier bleu et sauta à terre.
    — Tenez, messieurs. Mais laissez-moi vous dire ceci : chacun voit midi à sa porte. La vie est semblable à un point de côte, une maille à l’endroit, une maille à l’envers.
    Elle

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