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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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n’apprécierait que modérément…
    — Ma belle-sœur Tasha Legris pas plus. Rien ne nous oblige à leur casser le morceau. Il n’y a qu’à jurer, comme les preux chevaliers, cochon qui s’en dédit.
    Après que Victor eut livré ses informations à Joseph, ils décidèrent d’aller rue d’Aboukir, plus proche de la rue des Saints-Pères que la rue des Chaufourniers.
     
    Le fiacre les déposa place des Victoires, où trônait la statue équestre de Louis XIV. D’innombrables enseignes à grosses lettres dorées brisaient l’ordonnance des façades aux arcades ornées de lignes de refend et surmontées de pilastres ioniques. À l’angle de la rue Étienne-Marcel, Victor grimaça à la vue de deux immeubles récemment édifiés au coude à coude avec une construction ancienne. Le Paris du XIX° siècle prenait insidieusement ses aises au milieu de la cité historique, nul doute qu’il ne grignotât chaque année davantage ce décor cher à l’illustrateur Albert Robida et qu’une fourmilière sans âme ne finît par investir tout l’espace.
    Ils bifurquèrent rue d’Aboukir, dédiée au commerce des étoffes, des soieries, dentelles, tulles, mais aussi aux ateliers de confection les plus modestes. Encastrée entre une fabrique de fleurs artificielles et une boutique de modiste, une maison de cinq étages abritait, au rez-de-chaussée du numéro 68, un magasin chichement éclairé où ils pénétrèrent.
    Des tables croulant sous des piles de vêtements s’enfonçaient dans des profondeurs sombres. Du parquet au plafond, ce n’étaient que murailles de toile grise à l’odeur fade. Çà et là, des commissionnaires discutaient avec les employés pendant que leurs doigts impatients, semblables à des insectes fouisseurs, palpaient les coupons.
    Victor se présenta au patron, un homme plus large que haut aux joues mangées de nævus.
    — Mon ami et moi rédigeons un ouvrage concernant la mode. En comparant les prix affichés sur les mannequins qui garnissent nos bazars, pantalons à deux francs cinquante, complets à neuf francs, nous nous sommes étonnés. Comment les fabricants parviennent-ils à adjuger une valeur aussi faible à des articles de drap véritable d’apparence solide ?
    Flatté, le patron leur proposa une visite.
    — Les cinq étages sont pleins, si pleins que nous devons déplacer constamment les ballots de crainte de les recevoir sur la tête. C’est là l’inconvénient majeur de nos locaux parisiens. Nous sommes astreints à occuper verticalement la surface qui nous fait défaut horizontalement.
    Ils longèrent des couloirs, escaladèrent des escaliers sillonnés par des commis voûtés sous le poids de pièces de découpe. À travers cette agitation fiévreuse de ruche, ils aboutirent aux ateliers de piquage et de finissage dans lesquels s’entassaient une trentaine d’ouvrières, qui aux machines à coudre, qui aux boutonnières, qui au surfilage. D’autres ne cousaient que les ourlets.
    — Ces femmes sont réduites à la position de manutentionnaires pousse-aiguille, constata Victor. Quel salaire ce labeur répétitif leur rapporte-t-il ?
    — Oh, elles s’en tirent, trois francs par jour. Il suffit de savoir gérer son budget.
    — Et de se serrer la ceinture sur la nourriture, la toilette, les loisirs, murmura Joseph, resté en retrait.
    — Combien d’heures de présence font-elles ? questionna Victor.
    — Quatorze. Les principaux coupables de cet état de choses ne sont ni les fabricants ni les grossistes, c’est la clientèle des grands magasins. Nous devons sans cesse baisser nos prix, les salaires s’en ressentent. Et il faut compter avec la morte-saison d’été.
    Une sonnerie retentit, c’était l’heure du déjeuner.
    Les filles s’éparpillèrent. Victor et Joseph prirent congé et emboîtèrent le pas à la troupe des petites mains jusqu’au numéro 60, où elles s’égaillèrent à l’intérieur d’un fourneau économique fondé par des dames protestantes. Pour quatre-vingt-dix centimes on se ravitaillait d’un plat de viande, d’un légume et d’un entremets sucré arrosés de vin, de bière ou de lait. La majorité des gamines, cousettes, coupeuses, tailleuses, culottières, giletières, se contentaient d’un potage à quinze centimes ou d’un ragoût à trente.
    Joseph repéra une banquette où se côtoyaient une rouquine criblée de taches de son qui babillait sans reprendre haleine et une mijaurée à tignasse jaune qui

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