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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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poitrine.
    — Petit Louis, rengaine ton surin et surveille tes propos. Quand on est tricard, on fuit la publicité. Rends-toi incolore-inodore et va piquer un roupillon ! Je confisque ce couteau.
    Celui qui venait de s’exprimer d’un ton bourru était un homme massif au visage épanoui, à la peau tannée, au crâne tonsuré. Sa soutane d’un blanc douteux s’entrouvrait sur un paletot rapiécé et son ventre faisait un bourrelet au niveau de la taille. Il était chaussé de croquenots au cuir craquelé. Il entraîna Victor par l’épaule.
    — Un avis, monsieur, évitez ce secteur, vous êtes trop bien mis, cela attise les envies. Ce ne sont pas tous des arsouilles, seulement parfois ils s’excitent et provoquent des incidents regrettables.
    — Père Boniface ?
    — C’est moi, mon ami.
    — Merci de votre intervention, je… Qu’est-ce qu’un tricard ?
    — Un interdit de séjour. Petit Louis est loin d’être un ange, pourtant il a du cœur. L’année dernière, il a sauvé de la noyade un cheval sans harnais tombé dans le canal Saint-Martin. Il a plongé et a hissé la bête sur la berge à l’aide d’une sangle. Un coup de poignard à un rival l’a changé en proscrit.
    — Vous lui donnez refuge ?
    — Ma foi m’y incite. Cependant on me craint, je sais mater les cabochards.
    Il tendit ses deux poings.
    — Rassurez-vous, je m’en sers rarement. Je préfère soigner mes semblables, j’ai étudié la médecine dans ma jeunesse. Quant à la morale, je la laisse aux possédants, ils en ont plein la bouche, alors qu’ici on a du mal à se caler l’estomac. Nous y sommes, voici le dispensaire, mon domaine.
    Ils pénétrèrent dans une pièce propre, blanchie à la chaux. Trois patientes attendaient. L’une d’elles exhibait un œil au beurre noir, une autre allaitait un nourrisson malingre, la troisième, une gamine aux yeux pervenche, berçait une poupée unijambiste.
    Le père Boniface soupira.
    — D’ici deux ans, cette fleur éclose sur le fumier deviendra à son tour une des cent mille prostituées qui satisfont le désir bestial des hommes de toutes conditions sociales.
    Il fit signe aux femmes de s’asseoir et conduisit Victor à une minuscule salle de consultation.
    — C’est ici que j’exerce et que je m’efforce de tempérer les maux de mes patients. Je n’ai guère de moyens, tout est si cher ! Ma pharmacopée se limite à peu de chose.
    Victor s’approcha d’une armoire vitrée. De la bourrache, de la farine de moutarde, de la teinture d’iode, de l’eau oxygénée, des ventouses, du coton, des bandes de gaze, de l’eau boriquée, de l’arnica constituaient l’arsenal du père Boniface pour affronter tuberculose, sous-alimentation, ulcères et le cortège des maladies de pauvres.
    — Comment voulez-vous avec ça traiter la vérole et les fausses couches ! Être à l’écoute de leur malheur est déjà une infime contribution au soulagement de la misère de ces femmes.
    — Elles pourraient choisir un métier plus honorable.
    — Mon ami, d’où sortez-vous ? Les lois sont faites pour les rupins. Réfléchissez, le code civil refuse à la jeune fille de se marier avant l’âge de quinze ans, mais le code pénal l’autorise à s’abandonner à partir de treize ! Les femmes du peuple, pour qui le divorce est exclu, tombent dans l’indigence quand leur compagnon déserte le foyer. Leurs gamines sont des proies faciles, elles cèdent à la romance. Au premier enfant, leur homme les bat, au second, il les quitte.
    — Et ces maris sont remplacés par des souteneurs. Qu’y gagnent-elles ?
    — Il faut bien subsister. Tenez, monsieur, un exemple. Une de mes pratiques a obtenu un jugement qui condamne le père de sa fille à lui verser une pension. Seulement Céline n’a pas de père, résultat : sa mère ne touchera rien.
    — Je vous suis difficilement.
    — Si l’auteur de la grossesse est le papa en fait, il ne l’est pas en droit : le code civil interdit les recherches en paternité.
    Il haussa les épaules, saisit un flacon d’arnica et entra dans le dispensaire.
    — Alors, Fernande, tu t’es encore cognée contre le battant du buffet ? Tu as un joli coquard.
    Son débit était doux, réconfortant. Fernande cligna des paupières.
    — Tiens, ma grande, tu t’appliqueras ça trois fois par jour. Prends garde, fermeça pique. Je reviens, ajouta-t-il.
    Il sourit, son front se plissa légèrement, mais quand il se retourna et

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