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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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à Joseph une mauvaise photo de fête foraine. Pieds joints, bras ballants, au port d’armes, devant une toile peinte de sommets neigeux, un homme et une femme fixaient l’objectif.
    — C’est vous ? s’étonna Joseph, surpris qu’Isidore Gouvier ait eu une vie amoureuse.
    — Oui, mon gars, trente ans de moins, bon pied bon œil. Ça vous épate, hein ? Les années ne pardonnent pas. Il se mit à déclamer :
    Vieillir ! C’est la grande défaite
    C’est la laideur et c’est l’affront,
    C’est plus de rides à mon front
    Et moins de cheveux à ma tête 51 …
    — Je ne vous savais pas philosophe, monsieur Gouvier.
    — C’est un copain à moi qui a pondu ça. Vous avez trouvé ?
    — Et comment, c’est pas de la petite bière ! Tout ça roule dans ma tête.
    — Vous affolez pas, m’sieu Pignot, évaluez la situation calmement. Quand on a le souci d’être informé, il faut de la patience, il y a toujours des bribes de renseignements qui vous tombent dans l’oreille. Moi, je passe le minimum de temps à la rédaction : participer à ces interminables conférences de presse sous l’égide de Cluse’, c’est pire que d’être de Birmingham 52 . Cette atmosphère m’évoque la foule des corridas, on se demande si l’assemblée attend la mise à mort du taureau ou celle du toréador. En ce qui me concerne, je l’avoue sans honte, j’espère que le toréador se fera encorner. Prendre du plaisir à voir souffrir des bêtes, faut vraiment être sans cœur, hein ? Je vous sers un p’tit café ?
    — C’est pas de refus.
    — Pourquoi vous emmouscailler à recopier ce fatras ? Vous pouvez emporter le dossier, vous me le rendrez plus tard, il est onze heures et, à c’t’heure-ci, y a plus de tramway. Allongez-vous sur le canapé, je vous réveillerai, je me lève à l’aube.
    Joseph ne pouvait dormir. Soudain, il se souvint de l’inscription que Victor avait vue dans le cabinet de collections, chez le baron de La Gournay : En mémoire de brumaire et de la nuit des morts…
    L’excitation s’empara de lui. Le procès avait eu lieu en novembre 91. Loulou et trois Sophie comparaissaient au banc des accusées… et aussi cette Mireille Lestocart !
    — Brumaire, c’est novembre ! La nuit des morts, c’est la Toussaint, et la Toussaint, c’est novembre ! Mon cher beau-frère va en bâiller tout bleu !
     
    Minuit avait sonné quand Victor et Tasha engloutirent, sans le réchauffer, le ragoût d’André Bognol. Le vernissage avait été un succès, la plupart des invités s’étaient répandus en compliments apparemment sincères. Outre Anatole France, deux personnes avaient acquis des toiles, et Mathilde de Flavignol s’était entichée d’une photographie de carrousel qu’elle avait juré de régler prochainement.
    Tasha emplit une assiette de viande hachée menu et la déposa près de Kochka, lovée dans son panier au pied du lit. La chatte condescendit à soulever les paupières, flaira et s’assoupit incontinent.
    À son habitude, Victor plia un à un les vêtements qu’il avait enlevés, à l’exception d’un caleçon de flanelle. Dès qu’il les eut empilés sur une chaise, il s’enfouit sous l’édredon. Tasha dénoua ses cheveux, sema ses vêtements au sol, s’étendit près de Victor et ne tarda guère à recevoir l’hommage abrégé qu’il lui dispensait lorsque la fatigue les privait du grand jeu. Pelotonné contre elle, il lui enlaça le torse jusqu’à ce que ses doigts se fraient un accès à travers l’échancrure du déshabillé et atteignent un sein, dont la pointe s’érigea aussitôt. Elle emprisonna sa main de la sienne, bredouillant :
    — Trois ventes, cinq avec tes clichés, rien que des scènes foraines, c’est dommage que…
    Une plainte éraillée retentit. Elle se dressa si brutalement qu’elle se cogna à la cloison.
    — Qu’est-ce que c’est ?
    — La chatte, grogna Victor.
    À tâtons, Tasha franchit l’espace qui la séparait de la lampe. À deux reprises, elle trébucha, piégée par ses propres dessous. Non sans mal, elle rafla la boîte d’allumettes. Au moment où la mèche s’enflammait, Victor cria :
    — Oh non ! Je suis trempé !
    Le halo de la lampe éclaira la coupable, étalée sur les jambes de son maître où elle venait de perdre les eaux.
    — Elle va mettre bas ! clama Tasha.
    Écœuré, Victor sauta du lit et se réfugia dans le cabinet de toilette. Kochka lança des feulements

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