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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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affichait complet. Un vent glacial s’insinuait sous les manteaux et picotait les joues. Comprimés dans des bottines étroites, les pieds de Mme Ballu imploraient miséricorde. Aussi, au spectacle de son coin de rue, ressentit-elle l’extase de l’explorateur assoiffé discernant une palmeraie à l’horizon. Sa jubilation eût été absolue sans la voiture de déménagement rangée au bord du trottoir opposé à la librairie.
    — Y a quelque chose de véreux, expliqua-t-elle à Euphrosine. En une semaine, c’est la troisième visite nocturne dont cette entreprise Lambert nous honore. Seulement, dès qu’elle est garée, la carriole se visse à cette place, et le type qui la conduit reste dans le statu quo total, sa casquette sur les oreilles. J’ai zyeuté de près, elle ne contient aucun meuble, et elle est pareillement vide quand cet escogriffe prend la tangente. Entre parenthèses, il boite, je l’ai espionné un soir qu’il tétait sa pipe en arpentant la chaussée.
    Euphrosine leva les yeux au ciel.
    — C’est-y un péché d’boiter ? M’sieu Victor déteint sur vous, déjà qu’il a contaminé mon Joseph, sans quoi il nous aurait ramenées en fiacre, et le voilà qui court je ne sais où malgré la grossesse de sa femme Un client, un client, à c’t’heure, franchement ! P’têt’ bien une épidémie de fièvre policière…
    — Je n’suis pas une girouette, j’ai ma jugeote, gronda Mme Ballu, offensée. Figurez-vous qu’il m’a suivie jusqu’au seuil de la cour.
    — Quoi ?
    — Oui, il m’a… il…
    La voix de Micheline Ballu s’altéra sous le regard incrédule d’Euphrosine. Elle regrettait d’avoir parlé.
    — Il vous a quoi ? Ma pauvre Micheline, si vous n’aviez pas dépassé l’âge critique, j’dirais que vous avez des hallucinations ou qu’vous prenez vos désirs pour des réalités. Pourquoi un homme vous suivrait-il ? C’est absurde, vous vous montez la tête !
    — J’ sais c’ que j ’ sais.
    — Par exemple, visez-moi cette empotée ! s’exclama Euphrosine alors que Zulma Tailleroux s’esquivait de l’immeuble, munie d’un cabas où s’entrechoquaient des débris de porcelaine.
    — C’est pas d’ma faute, madame J’nettoyais la chambre de M. Mori, un livre a culbuté, j’me suis baissée pour le rattraper et j’ai tamponné le vase de nuit, heureusement qu’y avait rien dedans…
    — Vous êtes une calamité ! Ça sera retenu sur vos gages !
    Eclatant en sanglots, Zulma déguerpit vers la Seine.
    — C’que vous êtes rosse, tout ça pour un simple pot de chambre, parfaitement inutile d’ailleurs puisque votre patron a des « ouatères-cosettes » à lui !
    — Mon patron ? Plutôt le père de ma bru. Je vous signale qu’on est à égalité. Et si ça lui chante de prévoir un pot destiné aux urgences, c’est son affaire, pas celle d’une pipelette qui rêve qu’un homme lui court après !
    Il sembla à Micheline Ballu qu’un cataclysme renversait de son piédestal la statue de la reine de Saba et en précipitait les fragments à l’égout. Piétinée, la noble Balkis n’était plus qu’une portière de bas étage. Les traits contractés, elle cracha une repartie haineuse :
    — Va t’asseoir sur le bouchon 48 , vieille peau !
    — À quelle heure qu’on t’couche, madame Mathusalem ? rugit Euphrosine.
    Micheline Ballu se barricada à l’intérieur de sa loge.
    « Dire que j’ai eu la gentillesse de l’escorter chez elle, soyez bons pour les animaux », songeait Euphrosine sur le chemin de la rue Visconti. Elle négligeait d’admettre qu’elle avait surtout l’intention de sonder Iris au sujet de la désertion de Joseph. L’algarade avec son amie avait oblitéré ce projet.
    — Une vieille peau ? Je n’ai que quarante-deux ans, j’ai de beaux restes ! décréta-t-elle lorsqu’elle se fut bouclée chez elle.
    Sa cape et son chapeau valsèrent sur une chaise, elle déboutonna sa robe à volants et palpa son buste.
    « D’accord, j’suis un peu enveloppée, mais pas plus qu’ces amazones fessues qui encombrent les musées ! Y en avait plein les murs quand Mme Tasha m’a traînée au Louvre. Des cuisses comme des gigots, une poitrine moulée à la louche, et côté charpente un rembourrage de choix : j’suis du même tonneau. Tandis qu’la Ballu, c’est que d’la graisse avachie, supprimez l’corset, ça s’écroule ! »
    Un soupir et une mine désolée eurent pour cible

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