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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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le portrait de Gabin Pignot fixé au-dessus de la commode. Adossé à son étalage de bouquiniste du quai Malaquais, il aurait éternellement trente ans et ne cesserait d’observer le monde avec bonhomie.
    « Pourquoi qu’les hommes seraient les perpétuels vainqueurs ? M. Mori, la coqueluche de ces dames, a largement doublé l’cap de la cinquantaine, ça l’empêche pas d’séduire. Et pis pourquoi qu’on assure qu’les lemmes déclinent et qu’les hommes se bonifient ? »
    Le besoin de noter cette interrogation cruciale dans son keepsake la titillait. À la rubrique Zulma elle inscrivit :
    Zulma a fracassé un vase de nuit, ça se paiera. Elle fait la place pour les pavés à ressorts 49 . Et l’autre, la Ballu, elle la défend, mais le ménage des parties communes, elle s’en moque autant que des choux et des raves. Ça itou, ça se paiera !
    Son crayon s’envola brusquement, elle en mordilla le bout, le cœur rongé d’inquiétude. Où Jojo avait-il décanillé ? Chez les filles ? Ah ! Qu’elle était lourde à porter, sa croix ! Elle releva la tête et, l’œil humide, considéra de nouveau son Gabin Pignot, l’amour de sa vie, le géniteur de Joseph, rappelé à Dieu avant de l’avoir épousée.
     
    Le tramway qui effectuait le trajet de la Nation à la mairie de Montreuil suivait un ruban de voies tristes cernées d’usines, de chantiers et d’entrepôts. Les deux chevaux menés par un conducteur somnolent tiraient avec peine le véhicule peuplé d’une demi-douzaine de voyageurs. Il longea la manufacture de Bébé Jumeau , vaste fabrique de poupées en porcelaine.
    « Qu’est-ce que m’a dit Gouvier ? Descendre rue du Pré, au milieu des potagers. »
    Les rues devenaient de plus en plus sombres. Çà et là, un réverbère de gaz jaune laissait tomber son ombre comme une loque pendue aux façades.
    Melon sur le nez, poings au creux des poches, Joseph s’enfonça dans un lacis de ruelles.
    « Le quatrième pavillon sur la droite. Ce doit être ça, cette bicoque de plain-pied. »
    Isidore Gouvier tenait cette maison de ses parents, petits boutiquiers qui avaient usé leur vie à amasser de quoi acquérir ce lopin où il était né, avait grandi, vieilli. Joseph traversa un minuscule jardinet broussailleux avec une table flanquée de bancs. L’été, on pouvait y jouir du farniente en sirotant l’apéritif.
    Gouvier lui ouvrit en prenant soin de ne pas agacer la serrure. Les patères du vestibule croulaient sous des tas de vêtements. La cuisine était relativement propre : Gouvier aimait manger. Il fit entrer Joseph dans son bureau où tous ses livres gisaient en vrac sur des tablettes.
    — Les bibliothèques fermées, c’est bon pour ceux qui ne lisent pas, dit-il en mâchouillant un cigare.
    Des bibelots, des cadres étaient disséminés partout. Des centaines de dossiers s’accumulaient sur le plancher. Une antique horloge muette bouchait l’une des fenêtres.
    — Elle a sonné l’heure de mes vieux, depuis elle se repose. Mettez-vous à l’aise, m’sieu Pignot, je mijote un cassoulet. Humez-moi ça, c’est déjà un velours pour le blair.
    Gouvier gagna la cuisine. Il devait sa démarche chancelante aux coups de pied d’un voleur à l’esbroufe qui lui avait brisé le tibia alors qu’il exerçait la profession d’agent de la sûreté. Joseph pensa au bancal de l’ Hôtel de l’Arrivée . Il examina les lieux. Une lampe à pétrole charbonnait sur le coin d’un buffet parmi un bric-à-brac de pinces-monseigneur ayant appartenu à des cambrioleurs notoires, de fausses clés, de cabriolets à chaînette et de différents modèles de menottes. Joseph n’eût pas rêvé d’un tel endroit, la huitième merveille du monde, une mine d’or pour un écrivain.
    Après un repas arrosé, il se sentait euphorique. Il avait hâte d’exploiter les connaissances d’Isidore Gouvier.
    — Vous voulez savoir ce que signifie seigle ergoté, bougie, éponge, procès ? C’est ça, m’sieu Pignot ?
    — Oui.
    — Le seigle ergoté… Le seigle ergoté. Enfin, m’sieu Pignot ! On s’en sert pour se débarrasser d’un héritier indésirable, l’éponge et la bougie peuvent également remplir ce rôle abortif.
    — Quelle horreur ! s’écria Joseph.
    — Mouais. Horreur quotidienne. Quant au procès… Il me semble… Minute.
    Gouvier se pencha et déchiffra les dates inscrites sur la tranche des dossiers.
    — Je sais que c’est récent. Deux, trois

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