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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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Novembre 1891… Brumaire, la nuit des morts… Un beau titre de feuilleton… Y a un os quelque part, patr… Victor. À quoi rime la mort de Loulou ?… En savait-elle trop ? Etait-ce un témoin gênant ? Ça sent le rance, ce galimatias, il serait peut-être raisonnable de transmettre cette charade à l’inspecteur Lecacheur, je n’ai aucune envie d’avoir un fils orphelin.
    — Deviendriez-vous un petit-bourgeois casanier, Joseph ?
    — J’en ai plein l’dos de faire le poireau ! Et le bancal, quel est son rôle ?
    — Mme Sophie Clairsange-Mathewson a éludé la question.

 
     
CHAPITRE XIII
    Samedi 24 février
     
     
     
    L’aube rampait par la fenêtre. L’esprit encore ensommeillé, Corentin Jourdan se glissa hors du lit. Le miroir ébréché lui renvoya l’image d’un homme fatigué qui avait négligé de se raser depuis plusieurs jours. Au prix d’un violent effort, il versa l’eau du pichet dans la cuvette et saisit son blaireau. Il allait le porter à son visage, quand son geste s’interrompit.
    — Je suis le pauvre Ben Gunn, murmura-t-il. Je suis un « marron 54  », camarade !
    Littéralement hypnotisé par cette évidence, il considéra la solitude qui serait désormais son lot jusqu’à l’ultime culbute et envisagea la façon de la supporter. Il secoua la tête, s’efforçant d’échapper à cette obsession. Il se sentait à la fois l’acteur sur la scène et le spectateur dans la salle, et ni l’un ni l’autre n’appréciait l’intrigue de la pièce.
    — Rentre à la maison.
    Pareille à un enfant rebelle, sa volonté refusait de lui obéir. Il s’était empêtré dans une situation insoluble à la Dostoïevski qui ne pourrait s’achever que par l’affliction. Son obstination à ne pas lâcher prise avait quelque chose de mystérieux. Il lui suffirait d’abandonner ce cercle vicieux qui l’entraînait de plus en plus loin, de boucler son sac et de retourner là où était sa place, mais une force démoniaque le retenait à l’intérieur de ce cercle. Il lui fallait trouver le troisième larron.
    Les braillements d’une bande de gosses en train de se poursuivre le long de l’escalier lui résonnèrent douloureusement aux oreilles. En bas, la rue s’animait, le train-train se perpétuait. On ouvrait boutique, on faisait les courses, on partait au travail. Tous, menu peuple, boutiquiers, petits-bourgeois, menaient une vie normale dont il était exclu.
    Sur un plan de Paris, il situa la rue des Martyrs.
     
    Le collignon avait renâclé à rallier la rue de Belleville, mais la générosité du pourboire effaça sa rogne. Remerciant mentalement Victor qui lui avait offert le fiacre, Joseph remonta la chaussée envahie de marchands ambulants. Il était déçu de parcourir un territoire semblable à celui d’autres arrondissements populaires, avec ses lingeries, ses drogueries-herboristeries, ses merceries, ses serrureries et autres commerces. Il espérait un dépaysement plus grand du quartier d’ Amérique 55 .
    Peinant tout autant que l’omnibus Belleville-lac Saint-Fargeau, il grimpa jusqu’au point culminant de la colline, où l’église Saint-Jean-Baptiste effilait ses deux flèches. Il ne distingua nul pékin à ceinture bleue et sabots rouges devant l’édifice à portail ogival, pastiche d’un sanctuaire du XIII° siècle.
    Il s’enquit alors auprès d’un raccommodeur de porcelaine du sentier de l’Encheval. D’un geste vague, on lui indiqua la rue de Palestine.
    Quand il eut doublé les écoles dont lui avait parlé Sylvain Bricart et atteint la rue des Solitaires, Joseph, incapable de s’orienter, s’adressa à deux jeunes blanchisseuses chargées de paniers. Elles lui rirent au nez et se sauvèrent. Ses questions réitérées à une rempailleuse de chaises à demi sourde puis à un essaim d’apprentis massés devant un bistrot lui valurent enfin d’accoster la rue de la Villette, où une concierge joufflue à tablier à pois et imposant chignon l’expédia vers une ruelle se terminant en impasse. Là, il se sentit soudain transporté en terre étrangère, bien que ce ne fût pas cette Amérique dont il avait rêvé. Il escalada quatre marches. Face à face, sur une centaine de mètres s’étayaient au coude à coude des cabanes de planches disjointes et des bicoques en dur, séparées par une rigole d’eaux usées, où survivaient quelques familles misérables. Des enfants loqueteux galopaient au milieu de volailles picorant

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