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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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l’ignorais.
    — J’ai également découvert que cette amie, Sophie Clairsange, et Loulou avaient été impliquées dans un procès de faiseuse d’anges, et que vous aviez été cité à y comparaître en qualité de témoin de la défense.
    Le père Boniface ne tiqua pas. Il se pencha afin d’essuyer posément la bouche de la femme qui bavait, puis s’étira avec une grimace.
    — J’ai les reins en capilotade, à force. Oui, c’est exact, le procès de la mère Thomas, j’ai tenu à fournir mon assistance à ces malheureuses, et tout spécialement à Loulou, que j’avais placée dans un ouvroir.
    — Je m’étonne qu’un religieux absolve ces pratiques.
    — S’indigner de l’hypocrisie sociale n’est pas absoudre. On m’a enseigné la compassion. J’ai longtemps vécu en Afrique. Là-bas la vie est rude, ici elle est sordide.
    — Loulou ? Serait-ce le diminutif de Louise ?
    — Je l’ai toujours connue sous le nom de Loulou. Quand je l’ai recueillie, elle ne possédait aucun extrait de naissance.
    Le père Boniface s’interrompit pour soulever une tabatière et aérer un instant la mansarde.
    — Je suis convaincu que Notre-Seigneur ne saurait condamner ces filles, victimes de la lubricité et de la violence des hommes.
    — Pardonnez mon indiscrétion, mais puis-je m’enquérir de l’école où vous avez suivi vos études médicales ?
    — L’école ? répéta le père Boniface.
    Il éclata de rire.
    — L’école des livres et de la pratique, cher monsieur. Je ne possède pas de diplôme officiel.
    — La loi n’interdit-elle pas…
    — La mendicité, le vagabondage, la prostitution, l’infanticide, l’avortement, le suicide. La loi excelle à interdire. Moi, je tente modestement de remédier à ses incuries. Quand un homme crève de misère, on lui tend la main, n’est-ce pas ?
    Le père Boniface le dévisagea d’un air railleur.
    — Seules comptent la ténacité, l’aptitude et l’expérience, enchaîna-t-il. Je voulais secourir mon prochain. le rêvais de devenir chirurgien, les trépanations notamment me fascinaient. Je lisais les ouvrages spécialisés… Mes parents étaient pauvres, j’ai dû trimer de bonne heure, puis je me suis exilé et j’ai atterri de l’autre côté de la Méditerranée.
    — C’était après avoir participé à la guerre de 70 ?
    — Non, bien avant, j’ai eu la chance de ne pas assister à cette boucherie.
    — Sylvain Bricart m’a pourtant certifié vous avoir fréquenté à cette époque.
    — Sylvain Bricart ?
    Le père Boniface referma la lucarne et se gratta la joue.
    — Décidément, ma mémoire devient défaillante, ce nom n’éveille rien en moi.
    — Il a cependant lui aussi témoigné au procès. Réfléchissez, il était l’amant d’Hermance Guérin, qui semble être la mère de Sophie Clairsange.
    Le père Boniface secoua la tête.
    — Désolé, monsieur Legris, mais réellement je ne me rappelle pas ces personnes. Ce qui ne signifie nullement que je ne les aie jamais rencontrées. Vieillir est un satané handicap. Peut-être finirai-je par me souvenir, alors n’hésitez pas à me solliciter de nouveau. À présent, il faut que j’essaie de nourrir Joséphine, elle n’a rien mangé depuis hier.
    Victor comprit que sa présence devenait indésirable. Il prit congé et, fuyant « la Monjol », gagna la rue Bolivar. Rejoindre Tasha à La Revue blanche et l’emmener déjeuner au restaurant ainsi que convenu, telles étaient ses priorités. Il se débrouillerait pour téléphoner à la librairie afin de relater succinctement à Joseph les quelques renseignements glanés auprès du père Boniface. Drôle de bonhomme Il paraissait de bonne foi. Et apte à soigner celles qui s’en remettaient à lui. Mais de là à pratiquer des opérations sans être diplômé ! Qui croire ? Lui ou Sylvain Bricart ? Un fiacre daigna s’arrêter à sa hauteur, il s’affala sur la banquette en regrettant de ne pouvoir seconder Joseph. Pourvu qu’il réussît à s’entretenir avec le Grand Absalon…
     
    Sourd aux protestations de son estomac contre la dorade aux pois chiches préparée par Euphrosine, Joseph admirait la rotonde du cirque d’Hiver ornée de deux frises de bas-reliefs à la gloire de l’art équestre. L’ignoble Zandini se démancha lui aussi le cou pour observer l’amazone de bronze qui décorait la gauche de l’entrée principale. Mettant à profit cette seconde d’inattention,

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