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Le Temple Noir

Le Temple Noir

Titel: Le Temple Noir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Giacometti
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savait qu’il avait la voix grave, profonde et convaincante. Ainsi quand il commença par un Notre Père , toute la foule aussitôt conquise entonna avec lui la prière la plus sacrée de la chrétienté. C’était sans doute un de ses grands pouvoirs que de savoir partager son charisme. C’est du moins ce que pensait le dominicain en écoutant son maître parler. Il regardait les visages, d’abord hésitants, qui peu à peu prenaient une teinte de bonheur. On ne pouvait s’y tromper, les yeux brillaient d’un éclat plus intense, les lèvres s’ouvraient comme pour aspirer la parole qui tombait de l’estrade. Un instant, le dominicain se demanda s’il n’avait pas affaire à un véritable saint. Un de ces élus que Dieu choisit pour conduire les hommes. En tout cas, le Légat était en train de conquérir la place. À ces femmes et ces hommes venus l’entendre, il offrait un bouc émissaire à leurs malheurs. Si l’Église ne parvenait pas à établir un royaume de justice, la Jérusalem céleste, en ce monde, c’était que les forces du Mal l’en empêchaient : les hérétiques. Un grondement de colère se fit entendre. Le peuple réagissait aux propos du Légat comme un cheval éperonné par son cavalier. Même les notables, sur l’estrade, semblaient gagnés par l’éloquence du Renard. La voix qui résonnait, au-dessus des têtes, parlait d’un monde de béatitude dont tous étaient privés parce qu’une poignée d’êtres pervertis refusaient encore et toujours de reconnaître les lois divines, de se plier à l’autorité de la sainte Église.
    — Voilà pourquoi, mes chers frères et sœurs, j’ai pris le parti, terrible et douloureux, de vous protéger du Mal, affirma le Légat, voilà pourquoi dans la ville de Caïpha où tant de pèlerins mettent le pied en Terre sainte, j’ai donné l’ordre d’arrêter les Juifs…
    Un hurlement de plaisir couvrit les paroles du Renard. Arrivé au pied de l’estrade, le dominicain se dit que le peuple à Rome devait avoir la même voix, vibrante de haine et de jouissance mêlées, quand un gladiateur allait mourir.
    — … eux qui ont le sang de Notre-Seigneur sur les mains…
    Un nouveau rugissement monta de la foule.
    — … eux qui saignent le peuple à force d’usure…
    Malgré la forêt de bras levés, le regard du conseiller s’arrêta net. Le Grand Maître du Temple venait d’apparaître. Entouré de sa garde, il s’approchait de l’estrade. Ainsi, il avait répondu à l’invitation du Renard.
    — … eux qui offensent Dieu de leurs rites impies…
    Tout en observant l’arrivée d’Armand de Périgord, le dominicain entendit une voix anonyme qui commentait les paroles du Légat :
    — Dans ma bonne ville, deux nouveau-nés ont disparu. Ce sont des Juifs qui les ont enlevés, j’en suis sûr. On a retrouvé leurs cadavres dans un puits. Les fils d’Abraham les ont sûrement égorgés pour plaire à Satan.
    Le Grand Maître monta sur l’estrade. Entouré seulement de deux chevaliers, il se dirigea vers la rangée des notables. Subitement le dominicain se figea.
    — … eux qui usent notre patience, défient notre autorité…
    Gêné par le vent, un des chevaliers venait de rabattre ses cheveux en arrière.
    — … désormais doivent choisir : ou se convertir…
    Son oreille était tranchée. Juste au-dessus du lobe.
    — … ou disparaître.
     
    Assis à côté du comte de Tripoli, Armand de Périgord se forçait à demeurer impassible, mais les paroles du Légat résonnaient dans son esprit. Une fois encore, les Juifs de Terre sainte allaient subir violence et tribulation. Son voisin se pencha et murmura :
    — Le Légat parle bien, il sait manier le peuple. Les Hébreux vont payer pour leurs péchés.
    Un sourire satisfait conclut son propos. Périgord profita des rugissements de la foule pour ne pas répondre. Combien Bohémond le Borgne avait-il emprunté aux Juifs ces dernières années ? Combien de dizaines de milliers de livres leur devait-il ? Demain, le bon peuple allait se ruer dans les quartiers juifs, piller les commerces, brûler la synagogue locale… Bien sûr, le comte n’enverrait pas ses hommes rétablir l’ordre. Bohémond fermerait le seul œil qui lui restait. Quand ses débiteurs seraient morts ou en fuite, il recevrait ce qui resterait de la communauté juive et, la main sur le cœur, leur offrirait sa protection, contre espèces sonnantes et trébuchantes, bien sûr.
    Le Grand

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