Le Temple Noir
des années, il a recueilli toutes les traditions qui s’y rapportaient. Souvent, il se déplaçait dans une ville pour rencontrer un rabbin ou un vieillard qui lui racontait un récit oublié. Rentré à Al Kilhal, il notait tout scrupuleusement, puis comparait les versions. Il cherchait un fil conducteur derrière les légendes en circulation.
La jeune femme leva les yeux vers le rocher où nichait la corneille. Le bec aussi noir que son plumage, elle fixait le ciel qui se couvrait de nuages gris et bas. La neige, venue des montagnes, allait arriver. Elle reprit la parole :
— Au fur et à mesure de ses recherches, il en est venu à se passionner pour un personnage au centre de la construction du Temple. Un nom qui apparaissait sans cesse, mais sous des formes ou des fonctions différentes, comme si l’on avait voulu dissimuler sa véritable nature.
— Hiram ?
Bina approuva de la tête. Une mèche brune glissa de son foulard noué en torsade et roula sur son front. Roncelin tendit la main, mais elle recula tout en souriant.
— Hiram ou parfois Adonhiram. C’est un personnage énigmatique. En fait on ignore son identité. Selon les versions, c’est un roi de Tyr qui fournit à Salomon des matériaux pour construire le Temple, pour d’autres c’est un collecteur d’impôts, pour certains, un artisan qui travaillait le bronze. On dit que c’est lui qui a fondu les deux colonnes à l’entrée du Temple et la vasque d’airain, remplie d’eau pure, où se reflétait le ciel étoilé.
— Les Juifs s’intéressent à la science des astres ?
— Il y a plus de vérité dans le ciel que sur la terre. Et le destin de mon père, inscrit dans la course des constellations, était de se consacrer à sa quête. Hiram était devenu sa passion, il en traquait la trace comme un chasseur sa proie.
— Et il a trouvé ?
— Oui, en Égypte.
La corneille poussa un cri perçant. Roncelin porta la main sur la poignée de sa dague. Un bruit de pas montait vers la ferme. Affolée, Bina se précipita vers le Provençal.
— Le secret ne doit pas se perdre. C’est le tombeau d’Hiram qu’il faut chercher…
Le bruit de pas s’arrêta. Roncelin dégaina sa lame. Le déplacement reprit en direction de la source.
— Dans la tombe, il n’y a pas que le corps du Maître, il y a aussi…
Brusquement le Devin surgit, le sourire aux lèvres.
— Vous êtes mignons tous les deux en statue de sel, mais il va falloir bouger…
Devant l’air ébahi de Roncelin, il fit virevolter un parchemin plié entre ses doigts.
— … je sais où est l’entrée du Schéol .
Chastel Noir
L’escalier était sans fin. Arrivé sur un des paliers, Bohémond demanda grâce. Lui qui avait l’habitude de grimper dans la Tour du Silence en s’arrêtant à chaque étage pour reprendre son souffle, était totalement épuisé. Le Légat se retourna, lui jeta un regard interrogateur, puis s’arrêta à son tour. Son visage était toujours aussi pâle et sa respiration égale. Bohémond, dont les poumons étaient en feu, s’assit sur une des marches. Son œil mort le harcelait comme chaque fois qu’il demandait trop à son corps. Un jour son cœur fatigué exploserait dans une gerbe de sang. Tout ce qu’il souhaitait, c’était d’être dans le ventre de sa femme à ce moment précis.
— C’est la première fois que je monte pour rejoindre une prison, commenta le Renard, d’habitude on descend.
Malgré la brûlure qui lui déchirait la poitrine, le comte de Tripoli trouva la force de répondre. La vanité était son meilleur remède.
— Une de mes idées, vous verrez. Personne ne résiste à la Tour du Silence.
Lentement, il se leva. Tout son corps hurlait de douleur, mais le plaisir de briller aux yeux du Légat l’emportait sur tout.
— Encore un étage, annonça-t-il, donnez-moi votre bras, la montée me sera moins dure.
— C’est là que vous avez enfermé votre neveu ?
— Exact. Il a tenu deux jours avant de tout avouer. Le troisième, il était mort. Mais parlons plutôt de notre prisonnier. Il a été arrêté dans un bordel de Tripoli en train de tenter d’écouler de la fausse monnaie. En principe, j’aurais dû le remettre aux autorités ecclésiastiques, mais je l’ai gardé pour moi.
— Il a parlé ?
Bohémond se frotta les mains.
— Il a beaucoup parlé. D’habitude les Templiers sont peu bavards, mais là…
Il défit son pourpoint et montra un parchemin
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