Le Temple Noir
murmura le Devin, là où est enterré le roi David, le père de Salomon.
— Et là où se trouvent sans doute la tombe d’Hiram et son secret, répliqua Bina.
Tous deux se tournèrent vers Roncelin, mais le Provençal était déjà en marche, droit vers la colline sacrée.
Jérusalem
Palais du Légat
La bougie, presque terminée, fumait déjà. Le Renard la saisit et la porta sur la mèche d’une chandelle neuve. De nouveau, un halo de lumière se dessina sur la table où reposaient les confessions du captif du Chastel Noir. Quand le Légat avait quitté le comte de Tripoli, il n’avait posé aucune question sur le sort du templier. À la vérité pourtant, un détail l’intriguait : combien de temps le prisonnier allait-il tenir ? Dépasserait-il le nombre de jours du neveu de Bohémond qui, devenu fou de terreur, s’était laissé glisser dans le vide ? Ou bien sa résistance morale craquerait-elle avant ? Il est vrai que le maître du Chastel Noir lui avait promis la vie sauve s’il avouait ses turpitudes. Et l’homme est ainsi fait qu’il se raccroche au moindre espoir, pensa le Légat. En attendant, les confessions du captif étaient exceptionnelles. Une arme mortelle contre l’ordre du Temple. Le Légat se pencha et lut un paragraphe :
Moi, Siméon de Russel, avoue et reconnaît m’être rendu, en compagnie de mon frère, Mathias Henniquel, dans la maison de joie, tenue par femme Ysabeau Boigne, maison sise à deux rues de la cathédrale. Là, nous avons choisi une ribaude du nom de Marthe et sommes montés à l’étage avec un cruchon de vin de Smyrne. Là, nous nous sommes ébattus avec ladite Marthe, puis quand sa maquerelle l’eut rappelée, nous avons, Mathias et moi, eu commerce charnel ensemble.
Le Légat interrompit sa lecture et tourna la page.
Moi, Siméon de Russel, avoue et reconnaît avoir rendu visite, dans le quartier de l’Arbre sec, à la poulaine qui tient négoce de reliques. Là, je lui ai vendu un onguent de beauté et de jeunesse éternelles que je tiens de frère Balagne, fossoyeur du Temple. Ledit onguent, qu’elle m’a payé douze florins, après longue et rude négociation, est obtenu par macération d’attributs masculins pris sur des cadavres frais.
Le Renard prit sa plume, la trempa dans l’encrier et nota dans la marge : « crime en sorcellerie ». Quand il aurait fini sa lecture, il ferait envoyer cette confession à Rome. Nul doute qu’un jour, un pape sache s’en servir. En attendant, il sonna son serviteur.
Mont Sion
Ils marchaient sur une étroite bande de sable, parsemée de cailloux, cernée par une végétation luxuriante. L’aurore qui touchait les collines n’était pas encore descendue entre les falaises. Le Devin utilisait sa lanterne avec parcimonie de peur d’être repéré par une ronde. Sitôt qu’un bruit inconnu résonnait, il la dissimulait sous sa cape et s’arrêtait en plein chemin.
— À cette vitesse-là, on n’est pas près d’arriver, commenta Roncelin, sans compter que sur le mont Sion, j’ai vu un clocher. Il doit y avoir un monastère. Si nous n’arrivons pas assez tôt, les frères convers seront déjà dehors en train de travailler dans les oliveraies.
Le Devin ne répondit pas, il fit jaillir brièvement sa lampe et continua de marcher. Bina se rapprocha du Provençal qu’elle saisit par l’avant-bras. Sa main était glacée.
— Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi on prend ce chemin pour aller au mont Sion, il suffisait pourtant de suivre la crête.
Le Devin, habitué à entendre les morts, se retourna tranquillement.
— Savez-vous quel est le nom en hébreu de cette vallée ? Gé-hinnom . Et d’après vous comment les Grecs ont traduit ce nom ? La géhenne.
Bina s’arrêta net et frissonna.
— L’autre nom du Schéol ! Là où brûle le feu éternel.
Le Devin ricana.
— Tout juste, la partie maudite du royaume des Morts où sont torturés les damnés.
— Tu veux dire que dans cette vallée se trouve l’entrée des Enfers ? s’exclama Roncelin.
— Ce que je veux dire, répondit le Templier en reprenant le chemin, c’est que dans cette vallée, du temps des païens, on venait adorer des idoles sanguinaires qui réclamaient pour tribut des infanticides rituels.
Bina se colla contre le Provençal.
— Il y avait d’ailleurs tant de sacrifices d’enfants qu’un bûcher perpétuel se nourrissait de leurs cadavres. D’où la réputation détestable du
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