Le Temple Noir
scellé.
— Bien sûr, nous lui avons fait signer ses aveux devant témoin. Ils sont pour vous, je ne doute pas que vous en fassiez bon usage.
Tous deux étaient arrivés devant une porte bardée de clous mal dégrossis. Un geôlier attendait qui, aussitôt, fit jouer la clé dans la serrure. Le Légat se précipita, mais Bohémond l’arrêta.
— Attendez.
Un coup de vent glacé les fit reculer. Ils étaient arrivés au sommet de la tour. Une plateforme fermée de trois côtés, mais dont le dernier ouvrait sur un vide vertigineux, battu par la neige et le froid. Un homme se tenait accroché à un mur. C’est alors que le Renard comprit : le sol sous le prisonnier n’était pas droit, il dévalait en pente abrupte. Si l’homme lâchait sa prise, il chutait.
La mort.
Bohémond cria :
— Templier de malheur, es-tu prêt à avouer pour avoir la vie sauve ?
Un hurlement lui répondit :
— Tout… tout.
— Alors parle, le Légat du pape t’écoute.
— Seigneur… les frères du Temple sont sodomites, sorciers… hérétiques !
61
Jérusalem
Fin novembre 1232
Ils venaient de franchir la porte de Jaffa. La nuit tardait à se dissoudre. Seules quelques lueurs pâles au ras des collines laissaient pressentir un jour frileux. Solitaires, le long du chemin qui descendait dans la vallée de Hennom, des ruines achevaient de disparaître, envahies par la végétation. Des débris de tuiles jaunies émergeaient du sol au milieu de l’herbe givrée. Le Devin leva sa lanterne sur un pas de porte d’où sortaient les branches d’un figuier. Une inscription en hébreu finissait de s’écailler sur le linteau.
— Un ancien quartier juif, murmura Bina.
— C’est ce que prétend mon plan. Après la prise de Jérusalem par Rome, et la destruction du Temple, les Hébreux qui n’ont pas fui se sont réfugiés ici.
Roncelin regarda ces pierres qui avaient traversé les siècles. Des hommes avaient vécu, aimé derrière ces murs écroulés. Le Devin continua :
— Selon les chroniqueurs de l’époque, les soldats romains n’ont trouvé que peu de choses dans le Temple, si ce n’est la Menorah, le chandelier sacré. Les Juifs ont dû évacuer ce qu’il y avait de plus précieux et abandonner aux envahisseurs une poire pour la soif. Juste pour qu’ils ne cherchent pas ailleurs.
— Comme le tombeau d’Hiram, ajouta la jeune femme.
Étonné, le Devin fixa la Juive du regard. Elle se tourna vers Roncelin qui lui fit signe de parler.
— Il y a une vieille tradition, chez les rabbins, qui dit que le Temple ne pourra être reconstruit que si l’on relève son architecte Hiram.
— Relever ? interrogea le Provençal. Ça veut dire quoi ?
— Le ressusciter afin qu’à nouveau il se mette à l’œuvre. D’après mon père, cette résurrection était symbolique ; elle indiquait que, pour que le Temple s’élève à nouveau, il fallait que quelque chose réapparaisse.
— Mais qui est cet Hiram ? demanda le Devin.
Bina jeta un œil inquiet autour d’elle, puis baissa la voix.
— À l’origine, c’était un Grec du nom d’Eupalinos au service du pharaon. Un initié. En Égypte, il aurait découvert un fabuleux secret avant de disparaître en plein désert dans le Sinaï 1 .
— Cette fois, je ne comprends pas… lança Roncelin.
— Selon mon père, Hiram avait mis en scène son propre meurtre par ses compagnons avant de se fondre dans une caravane qui partait pour le royaume d’Israël.
— Mais tu m’as bien dit que dans le livre sacré des Juifs, il y avait plusieurs Hiram ?
Bina sourit dans l’obscurité.
— Il faut savoir lire entre les lignes. Ce n’est pas le même Hiram avec des fonctions différentes, comme le croient les profanes, mais tout simplement ses descendants.
D’un coup, la lumière se fit dans l’esprit de Roncelin. Des générations d’hommes portant le même nom, dépositaires du même secret… de quoi égarer bien des curieux indiscrets. Il se tourna vers le Devin en montrant les ruines autour de lui.
— Pourquoi ton plan parle-t-il de ce village détruit pour atteindre le Schéol ?
— Parce que après la chute de Jérusalem, les Juifs ont inhumé leurs morts ailleurs. Dans une nécropole secrète.
— Et tu sais où elle est ?
Le Templier tendit le doigt vers une éminence sombre, mais où un toit de tuiles, surmonté d’un clocher, commençait de briller sous les premiers rayons de soleil.
— Le mont Sion,
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