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Le Temple Noir

Le Temple Noir

Titel: Le Temple Noir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Giacometti
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auxquels il passait sans cesse commande.
    — Nous ne sommes plus loin, indiqua Bohémond en montrant une masse sombre environnée de brumes. Sitôt doublé ce pic, nous serons chez moi.
    Le long de la paroi, la neige gelait aussitôt, formant des cristaux brillants qui fatiguaient le regard. Le Légat baissa les yeux vers le précipice. On ne voyait plus la plaine, mais un brouillard épais. Le Renard songeait à ce que lui avait dit, un jour, le dominicain. Quand Bohémond avait hérité, non sans mal, du fief de Tripoli, tous les châteaux qui protégeaient le comté appartenaient à l’ordre du Temple. D’où sa volonté incessante de construire et sa détestation sourde des frères. Une haine qui servait les intérêts du Légat. Certes, depuis la mort du dominicain, il avait conclu une trêve avec le Grand Maître, le temps que ce dernier récupère la rançon d’Al Kilhal. Avec ce butin, le Renard pourrait créer l’instrument dont il avait toujours rêvé : une armée de choc, des prêtres et des moines d’élite, exclusivement dédiés au combat contre l’hérésie. En attendant, il se méfiait d’Armand de Périgord et profitait de la paix pour préparer la guerre.
    — Ce sera ma dernière œuvre, dit Bohémond, mon ultime citadelle. Celle où je me retirerai. En attendant, elle sert pour mes prisonniers. Une geôle de choix, mais ils n’ont pas l’air de l’apprécier. Mon imbécile de neveu y est mort au bout de quelques jours. Un ingrat qui n’a pas su goûter mon hospitalité.
    Perchée sur un rocher scintillant de neige, une muraille hérissée de tours déchira le brouillard. Un nid de vertige pour un oiseau de proie.
    D’une voix émue, Bohémond le Borgne prononça :
    —  Chastel Noir .

    Ferme d’Ein Kerem
    Roncelin examina soigneusement les alentours. Le froid était si intense que les sons se propageaient de très loin. Une meute hurlait par-delà les collines, sans doute à la poursuite d’un daim. Mais ils devaient être loin et leurs cris s’estompaient déjà. D’ailleurs, la corneille, immobile, qui veillait dans une anfractuosité du rocher, au-dessus de la toiture de ferme, ne manifestait aucune marque d’inquiétude. Le Provençal savait que son froissement d’aile serait le premier signe d’une visite importune. Pour se protéger du froid, il avait revêtu pêle-mêle certains des déguisements d’Évrard. Il ressemblait à un de ces épouvantails dont les vilains parsèment les champs à l’époque des semailles. En France, il aurait été vite remarqué, mais en Terre sainte, il se confondait avec la tourbe sans cesse renouvelée des marginaux. Rassuré, il revint vers la ferme et ouvrit la porte.
    Bina sortit.
    Elle n’avait plus vu la lumière depuis des jours. Instinctivement, elle porta sa main sur les yeux. La clarté qui tombait du ciel blessait son regard. Elle se sentait chavirer. D’une poigne ferme, Roncelin la rattrapa et la fit asseoir sur le seuil. Adossée à la pierre d’angle, elle reprit son souffle avant de parler.
    — Je ne me croyais pas si faible.
    Le Provençal la rassura.
    — Ce n’est rien. Tu es restée trop longtemps couchée. Ton corps va très vite se reprendre, mais il faudrait que tu marches. Au moins quelques pas.
    Bina tendit la main. Roncelin la prit délicatement, puis la soutint par la taille.
    — Tu n’as pas froid avec ces haillons ?
    Comme le Provençal, elle s’était attifée avec des loques disparates de robes et ressemblait à une diseuse de bonne aventure.
    — Je suis glacée et j’ai la tête qui tourne.
    Roncelin se rapprocha. Il sentait la courbe de son corps sous ses vêtements. Elle commença à trembler.
    — Rentrons. Tu n’en peux plus.
    Bina s’arrêta pour reprendre sa respiration.
    — Non, je dois marcher. Tu as raison. Aide-moi.
    Le Provençal la retint.
    — Je t’aide, mais à une condition. Dis-moi ce que tu sais. Qui est Hiram ?
    Elle jeta sur lui un regard curieux. Mélange contradictoire d’abandon et de méfiance. C’est elle qui avait cité ce nom, mais sitôt après l’avoir lancé, elle s’était montrée plus distante, comme si elle regrettait de s’être avancée.
    — Tu m’as sauvé la vie, mais tu es un Franc… un pillard… c’est toi qui as pris Al Kilhal. Je ne sais pas si je peux avoir confiance. Nous, les Juifs, nous avons toujours été trahis.
    Roncelin se mit face à elle, releva son menton entre ses doigts et la contempla. Le froid avait rosi ses

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