Le Temple Noir
la première paire de chaussures qui lui tomba sous la main. L’heure tournait inexorablement ; il arracha la veste en lin noire accrochée au portemanteau dans l’entrée et réussit à être en bas de l’immeuble deux minutes plus tard. Il évita la concierge qui se ruait sur lui pour se plaindre à tout bout de champ.
La tête lourde, il traversa la rue Nodier et rejoignit à pas vifs le boulevard de Rochechouart en quête d’un taxi. Il ne lui restait plus qu’un quart d’heure pour arriver à son rendez-vous et il ne voulait pas que le frère obèse lui fasse une énième réflexion sur son manque de ponctualité. Devant lui, un couple de touristes russes était sur le point de monter dans une Ford grise siglée G8. Il brandit sa carte sous leur nez.
— Police, réquisition du véhicule.
La femme recula contre son homme, pensant qu’il allait les arrêter. Antoine s’engouffra dans l’habitacle. L’intérieur sentait le tabac froid et le désodorisant au jasmin fané. Un mélange insupportable pour les narines d’Antoine.
— Démarrez !
Le chauffeur, un blond d’une quarantaine d’années, lui jeta un regard dans le rétroviseur. Sa peau était grêlée comme s’il avait reçu une décharge de chevrotine.
— Vous voulez suivre une voiture comme dans les films ?
— Non, je suis pressé. Direction, port de la Conférence. Faites-vous plaisir avec la pédale d’accélérateur, je vous couvre.
La Ford démarra brutalement, Marcas se retrouva plaqué contre la banquette arrière. Il s’accrocha à la poignée de plastique qui pendait au-dessus de la vitre. Le taxi fit une queue de poisson à un velib’ et s’inséra dans la voie réservée aux bus. Le chauffeur grinça des dents.
— Dites, c’est pas un abus de pouvoir le coup de la carte ?
— Ça vous pose un problème ?
— Non, j’aime pas les Russes.
Le taxi parlait avec un léger accent des pays de l’Est. Comme son passager ne continuait pas la conversation, il mit la radio. C’était l’heure du flash info. Antoine s’enfonça dans son siège.
… Ici, à La Mecque, les autorités ne font aucun commentaire, mais on a appris que le roi avait refusé l’ultimatum du commando chiite et qu’il accusait un pays de la région d’être à l’origine de la souillure, selon ses propres termes. Cinq cents pèlerins, dont cinquante Français, sont retenus par les preneurs d’otages qui posséderaient des explosifs. Les troupes d’intervention saoudiennes sont massées autour de l’enceinte sacrée. Le roi a mis son armée en état d’alerte et a demandé l’intervention des États-Unis dans le Golfe. Les chiites réclament la libération de cinquante prisonniers détenus dans les geôles du royaume. La Ligue arabe a proposé d’envoyer des médiateurs. Cette prise d’otages, un jour après le massacre à Jérusalem, fait monter d’un nouveau cran la tension au Moyen-Orient. Le président français a réuni…
Le chauffeur jeta un coup d’œil à son rétroviseur et aperçut la mine contrariée de son passager. Il baissa le son.
— Ça vous gêne la radio ?
— Non, mais j’en ai un peu marre de ces hystériques religieux. Une prise d’otages entre musulmans à La Mecque. Et à Jérusalem ?
— Hier, des Juifs et des Arabes se sont affrontés dans le vieux quartier de la ville. Ça a dégénéré, les militaires israéliens ont tiré sur un évêque.
— Un quoi ? s’étonna Antoine.
— Eh oui, y a des Arabes chrétiens, là-bas. En tout cas, si c’est pas dégueulasse, juste devant le Saint-Sépulcre.
La Ford contourna la place de Clichy et prit la direction de Saint-Lazare. Antoine ne comprenait pas ce qui chagrinait l’homme. Le meurtre ou la proximité avec le lieu de pèlerinage ? Il fronça les sourcils.
— En effet, La Mecque et Jérusalem, les villes saintes des deux grandes religions du Livre. Elles devraient inspirer l’amour, non la violence.
Le chauffeur rétrograda brutalement.
— Vous rigolez ? Le catholicisme, c’est la seule religion d’amour et Rome, la cité de Dieu. Les Juifs et les Arabes, eux, ils veulent dominer le monde, les premiers avec leur argent, les seconds par la terreur. Dans mon pays, en Pologne, on est tous chrétiens et fiers de l’être. Quant à ceux qui ont osé tirer sur un évêque. Œil pour œil…
— C’est pas très catholique comme remarque.
— C’est dans la Bible. Le monde entier nous crache dessus. Dans votre
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